1843

Source. Marx : du "vol de bois" � la critique du droit
Edition critique de � D�bats sur la loi relative au vol de bois � ; � Justification du correspondant de la Moselle �
de Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, collection philosophie d'aujourd'hui, Presses Universitaires de France, Paris 1984

K. Marx

 

Justification du correspondant de la Moselle

1843

Justification du ++ correspondant de la Moselle

Cette partie regroupe deux sortes de textes :

- tout d�abord, les trois articles du Correspondant de la Moselle, Peter Coblenz qui se dissimule derri�re le signe � + + �. Ces textes sont � l�origine de la pol�mique avec von Schaper qui pr�c�da l�interdiction de la Gazette rh�nane ;

- d�autre part, l�annonce et la � justification � o� Marx se substitue � Coblenz pour r�pondre au pr�sident. Il le fait en s�appuyant sur les documents assembl�s par le correspondant. [1]


Allemagne, ++ de la Moselle, 12 novembre

Le vigneron peut esp�rer de bons prix, encourag� en cela par des r�sultats d�j� tangibles :

    1) Le vin, � son stade actuel, celui que l�on nomme � laiteux �, pr�sente les m�mes signes que ceux qui annon�aient autrefois un vin exceptionnel. Il a d�j� fourni les preuves les plus convaincantes de sa vigueur, de son corps et de son bouquet ;

    2) Les prix des raisins, du mo�t et des vins nouveaux sont en cours d�alignement sur ceux des meilleures ann�es.

A Zeltingen, Graach, Berncastel, Dozemond et � Pisport, on en a vendu de petites quantit�s, entre 16 et 24 thalers l�Ohm [2], et avant-hier � Filzen a �t� vendu un foudre [3] pour 180 thalers et un autre pour 190 tha�lers. Afin d�appr�cier ce fait � sa juste mesure, il ne faut cependant pas passer s crus silence le fait que les vendeurs sont des vignerons pauvres, ceux qui ne r�coltent pas leur cru sur les terres les mieux expos�es, qui n�ont pour stocker ni tonneau ni cave, et sont oblig�s par des contraintes de toutes sortes de brader d�s que possible. La conjoncture de cette ann�e qui promet une qualit� de vin probablement sup�rieure et des prix �lev�s s�explique par plusieurs facteurs : la quantit� a atteint � peine la moiti� d�une r�colte compl�te, peu de vin vieilli de bonne qualit� ou de qualit� sup�rieure est en r�serve, que ce soit chez les vignerons ou chez les n�go�ciants plus importants ; enfin, cette ann�e, le vin mosellan n�a pas � redouter une concurrence trop forte des vins des r�gions avoisinantes, puisque l�on constate, effectivement, dans la Bavi�re rh�nane et dans la Hesse que, de m�moire d�homme, on n�avait pas connu de r�colte si maigre. De m�me, dans la Sarre et certaines r�gions mosellanes, le vignoble a peu produit en raison des d�g�ts caus�s, l�an pass�, par la chute de gr�le, et dans le c�l�bre Scharzberg, la r�colte obtenue est tr�s faible.

Pourtant, il nous faut contrebalancer ces espoirs; si tous ceux-ci se r�alisent, si le vigneron mosellan se voit r�compens�, cette ann�e, de toutes ses peines am�res, si le r�sultat quantitatif est celui d�une grande r�colte, cela ne suffira pas � gu�rir les blessures inflig�es au vigneron les ann�es pr�c�dentes. Il endure depuis trop longtemps d�j� et trop profon�d�ment fin cauchemar qui an�antit toutes ses forces, c�est pourquoi il accepte ce bienfait actuel en silence et avec tristesse, un peu comme un homme terrass� par la maladie, ayant r�gl� ses comptes avec le monde, accueillerait un cadeau d�ici-bas.

Tandis qu�aux temps favorables (1818-1825), pendant les vendanges, les Mosellans emplissaient d��clats de joie et de chants leur ch�re vall�e tant aim�e et offraient en libation le vin nouveau aux pourvoyeurs de tous ces biens avec une gratitude spontan�e, � pr�sent, de tristes silhouettes, charg�es de fardeaux de raisins, se tra�nent vers les pressoirs; en effet, ils ne r�coltent pas pour eux-m�mes, mais pour leurs cr�anciers. Un silence de mort r�gne dans toute la vall�e. Qui a inocul� cette gangr�ne d�vorante ? Avant tout les imp�ts de l�Etat, qui depuis plus d�une d�cennie accablent la Moselle au-del� de ses forces, doivent �tre d�sign�s comme la cause primordiale de la mis�re.

Lorsque le taux d�imposition [4] actuellement en vigueur fut �tabli pour la vall�e de la Moselle, le calcul retenu alors reposait sur des pr�mices tout � fait justes. On �valua sur un certain nombre d�ann�es le produit net approximatif, on d�termina rapidement le produit moyen, ainsi que la valeur du capital des biens fonciers, et l�on fixa sur cette base le montant des imp�ts. Mais les donn�es de base � partir desquelles la taxation avait �t� fix�e se sont, depuis, totalement modifi�es. Apr�s 1825 les mauvaises ann�es se suivirent sans tr�ve jusqu�en 1834, ann�e durant laquelle inter�vint un �v�nement politique qui, bien plus que tous les �v�nements natu�rels, entra�na la ruine totale des Mosellans.

Le Mosellan n�est pas d�une nature si �go�ste qu�il voit d�un mauvais �il l�union douani�re qui �tend sa bienfaisance dans toute l�Allemagne, aussi bien sur un plan politique que commercial ; mais il sent vivement qu�il est la victime, impos�e par l�union douani�re, qui doit donc laisser couler son sang sans r�sister. Bien peu, ou plut�t rien, n�a �t� fait pour son secours, ses g�missements les plus profonds, ses cris de piti� se perdent sans trouver d��cho ni dans sa propre patrie, ni dans celle de ses fr�res allemands.

Le Mosellan est limit� � sa petite vall�e et � ses vignobles. La nature ne lui a accord� aucune parcelle de terre o� il puisse gagner de quoi satis�faire ses besoins les plus indispensables, tandis que les Palatins du Rhin ou les Bavarois, outre la viticulture, ont la terre et le tabac � cultiver et ne sont pas confin�s exclusivement dans la production pr�caire de la vigne.

La libre concurrence des vins �trangers, engendr�e par l�union doua�ni�re, fit baisser particuli�rement les prix des vins mosellans et paralysa la vente des vins de qualit� inf�rieure ou moyenne, si bien que l�exploitation on�reuse de la vigne ne trouva plus son �quivalent dans la valeur du produit ; il s�ensuivit, n�cessairement, une baisse de valeur du capital des biens fonciers. Le vigneron paie les m�mes imp�ts dans cette situation d�sesp�r�e que dans des circonstances autrefois favorables. Tandis qu�autrefois, le montant de l�imp�t �tait dans un rapport juste avec la valeur du capital des biens fonciers et de leur revenu, ainsi qu�avec les imp�ts des terres agraires; ces donn�es, bases de ce principe arithm�tique, se sont tellement modifi�es que les imp�ts proportionn�s aux donn�es ant�rieures ont contribu�, par leur d�s�quilibre actuel, � la ruine de la Moselle dans une progression g�om�trique. L�exemption temporaire de l�imp�t sur le mo�t n�eut aucune influence, d�autant plus que cet imp�t fut parfois exig� dans des cas o� le vigneron ne tira pas un seul kreuzer [5] de son vin tax�.

Les ventes aux ench�res par ordre de justice, qui ont eu lieu ces der�ni�res ann�es, apportent une preuve sans �quivoque d�une r�elle d�gra�dation de leurs biens. A Graach, Zeltingen, Pisport, Berncastel, etc., les ventes aux ench�res se succ�dent en rang serr� et touchent, justement, des gens poss�dant des vignes de 10 � 20 foudres environ et que l�on tenait pour riches il y a quinze ans.

Je ne peux pas omettre de citer ici une situation d�plorable qui atteint gravement et particuli�rement les vignerons les plus pauvres en mati�re de r�partition de l�imp�t sur le vin. Comme chacun sait, toutes les circons�criptions communales de la vall�e mosellane sont r�pertori�es quant � l�indexation de l�imp�t sur le mo�t, afin que la deuxi�me classe paie 12 thalers par foudre, et la troisi�me classe environ 8 thalers. Or, il est �vident que l�on obtient dans chacune de ces circonscriptions des crus tr�s diff�rents et que les vignerons moins riches d�tiennent les emplacements de moindre valeur. Ils restent tax�s selon le m�me bar�me, m�me si leur production leur rapporte les deux tiers du prix obtenu par l�exploitant d�une terre noble qui vendange au meilleur endroit de la m�me classe. Puisque le revenu net et la valeur du capital foncier d�terminent le pr�l�vement fiscal, on devrait s�en tenir ici � ce principe. Autre situation � d�plorer, moins fondamentale mais pourtant sensible pour qui conna�t la valeur d�un seul silber groschen pour le vigneron pauvre : le vigneron doit payer dans l�imm�diat l�imp�t foncier relatif � ses nouvelles planta�tions de vigne, lesquelles ne produisent que quatre ou cinq ans plus tard. Ceci est un fait qui contredit tout autant l��quit� que le principe des imp�ts.

La surface restreinte de ce journal et le caract�re de cette information rapide ne permettent pas de brosser un tableau complet et approfondi de notre malheur et de ses causes. Qui donc prendrait plaisir � troubler, par des r�criminations vaines, le bonheur d�un voisin plus favoris� qui ne peut, malgr� tout, �tre d�aucune aide ? Cependant, certains maux qui s�vissent dans un cercle plus large et auxquels nous sommes soumis, nous et toute notre Province, d�veloppent chez nous, vu l��puisement de chacun, leurs cons�quences pernicieuses � un degr� largement plus �lev� et ignor� ailleurs. Un de ces maux est la constitution communale et le budget communal tel qu�il existe jusqu�� pr�sent. Nous ne voulons pas relever particuli�rement celles de leurs lacunes qui touchent sp�cifiquement la Moselle dans ses points les plus sensibles, nous voulons nous contenter de t�moigner et de confirmer que toute la r�gion mosellane se joint de tout coeur aux revendications et aux souhaits formul�s � leur �gard par la Province rh�nane. La n�cessit� d�une r�forme est, chez nous, ind�nia�blement plus grande que dans les villes rh�nanes o� r�gnent la richesse et la culture et o� chacun peut b�n�ficier de centaines d�aides. Nous sommes pauvres et devons vivre du travail manuel le plus p�nible et, malgr� toute la peine que nous nous donnons, nous ne cessons un instant d��tre harcel�s par le souci. S�il ne nous restait pas l�air libre de la mon�tagne, la derni�re lueur d�espoir se serait �teinte depuis longtemps. Pour�tant, tant que durera ce souffle, notre espoir et notre amour de la libert� ne sombreront pas. Mais la libert� exige d��tre nourrie, consol�e, elle exige que nos fr�res rh�nans, plus heureux, ne nous abandonnent pas parce que nous sommes pauvres et sans aides. Nous avons �t� douloureu�sement touch�s par certaines voix qui ont r�clam� l�exclusion de la cam�pagne de la r�forme communale [6] ou une limitation des principes de celle-ci � l'�gard de la campagne. Nous avons confiance, en attendant, dans le sens du droit et dans le caract�re h�r�ditaire de notre Province qui se montrera fortement unie dans le d�veloppement actuel et dans tout d�veloppement futur.

Cela exige une seule chose : la Province doit apprendre � se conna�tre afin de prouver, en d�pit des pr�jug�s les plus opini�tres, l�aspect illusoire de toutes les fronti�res et de toutes les barri�res l�gales que l�on propose d�instaurer entre les diff�rentes r�gions. Par l� m�me, nous exprimons notre confiance dans l�esprit de la Province, qui, tout en commen�ant � concevoir, en connaissance de cause, son unit� autour des institutions l�gales, des conditions sociales et des m�mes devoirs culturels, r�v�lera ainsi la force de cette unit� par une affection agissante � l��gard de ceux de ses membres qui souffrent individuellement.


Allemagne, ++ Berncastel, 10 d�cembre

Aucun sujet de notre Etat ne s�est plus sinc�rement r�joui de la mani�festation de la volont� royale � l��gard de la presse que contenait l�Ordre du 24 d�cembre de l�an pass� que le Mosellan. Celui-ci se trouve d�sormais satisfait � certains �gards d�avoir trouv� un refuge o� d�battre, de fa�on ouverte et sinc�re, de ses conditions de vie. Nul n�a salu� avec plus d�en�thousiasme l�existence d�organes de presse ind�pendants.

Le vigneron pauvre, harcel� par les contraintes les plus diverses, ne doit-il pas avoir le droit de d�noncer publiquement la gangr�ne qui le ronge au plus profond de sa moelle ?

Ne doit-il pas avoir le droit de r�clamer que soient enfin �cart�s de lui les vampires qui s�abreuvent depuis si longtemps d�j� de son sang ou qu�ils soient an�antis ?

N�est-ce pas un droit sacr� pour celui qui est dans le besoin et lutte contre la mort que de pouvoir exposer en public les raisons de sa lutte et que soient discut�s les moyens de son sauvetage ? D�j�, l�aveu public est une lib�ration int�rieure.

Un article figurant dans vos pages, en provenance de la Moselle et sign� d�une double croix � vraisemblablement destin� � signaler notre situation de gens doublement crucifi�s � a suscit� ici une grande �motion ; il n�y a probablement pas de vigneron qui ne partage l�opinion de l�auteur quant � l�origine de sa ruine telle qu�elle s�y trouvait �nonc�e.

L��tat de d�solation des vignerons a longtemps �t� mis en doute par les autorit�s sup�rieures et leur cri de d�tresse tenu pour des vocif�rations insolentes. Soit que les autorit�s proches du vigneron r�digent avec n�gli�gence leurs rapports, soit que les articles �crits avec sinc�rit� sur les condi�tions mosellanes n�aient pas �t� publi�s en raison de la censure. N�est-ce pas assez que se d�labrent, depuis plusieurs ann�es, les biens de la moyenne bourgeoisie et que s��branle dangereusement la fortune de la haute bour�geoisie, situation qui a �t� reconnue lors d�une tombola d�ouvrages de dames au profit des Mosellans qui eut lieu voil� deux ans � Berlin ?


Allemagne, ++ de la Moselle, 12 d�cembre

Le bois de chauffage et la houille, qui seule peut le remplacer, sont en ce moment d�un prix si �lev� que le vigneron aux revenus moyens, � plus forte raison celui qui est pauvre, n�est pas en �tat de subvenir par ses propres moyens � son chauffage. La commune de plusieurs milliers d��mes � laquelle j�appartiens est propri�taire des plus belles for�ts ; mais, je ne peux pas me souvenir que ses habitants aient jamais tir� quelque b�n�fice imm�diat en parts de bois de leur propri�t�. Certes, des abattages ont lieu, de temps � autre dans ces for�ts, ainsi que des licitations qui rappor�tent un gain non n�gligeable. Mais, nous doutons fort que la commune tire le meilleur b�n�fice de cet avantage. Nous n�avons qu�une certitude : �. plus de la moiti� de notre commune est contrainte par son extr�me indi�gence de satisfaire par m�fait la plus grande partie de ses n�cessit�s en bois ; en effet, l�autorisation donn�e, certains jours de la semaine, d�en�lever l��corce de ce qui reste des troncs des arbres abattus et de d�terrer les racines mortes ne suffit pas, loin s�en faut, � satisfaire m�me le quart du minimum n�cessaire � leur consommation. D�o� la question : comment rem�dier, de la fa�on la plus s�re et la plus appropri�e, � ce mal ? M�me s�il est coh�rent, d�un point de vue �conomique, qu�une commune utilise les revenus de sa propri�t� pour rembourser les dettes communales, des consid�rations humaines plus hautes enjoignent alors que, d�s qu�un conflit entre la morale et l�int�r�t mat�riel li� au maintien de la vie surgit de la marche in�luctable des �v�nements, l�on fasse pour un temps abstrac�tion de la premi�re consid�ration, et m�me que l�int�r�t p�cuniaire de la commune soit sacrifi� � la pr�vention et au r�glement de ce conflit. Cela ne repr�sente-t-il pas, aussi bien pour la propri�t� de la commune que pour l�autorit� gouvernementale une nuisance in�valuable que les habi�tants se trouvent accul�s par les forces impitoyables de la nature � la l�gitime d�fense, violent de leur propre autorit� les limites impos�es par la l�galit� qui, d�ordinaire, leur est sacr�e et m�nent ainsi un combat d�un arbitraire effr�n� parce que les pouvoirs publics ne les ont pas aid�s � temps par des mesures de protection ? Notre question se trouverait donc r�solue si, en temps opportun, les autorit�s foresti�res d�signaient des coupes de bois � abattre et � distribuer aux plus indigents. Telle commune mosellane, vu l�organisation actuelle de son budget, perd totalement l�usufruit de sa propri�t� parce que celle-ci ne sert qu�� rembourser sans rel�che la dette communale. En ces temps si n�fastes aux Mosellans, nous ne pouvons absolument pas approuver cette volont� de se lib�rer des dettes, et soutenons pour cela que le bien-�tre de la commune doit passer en priorit� en ne r�glant de la dette que ses int�r�ts exacts. Il conviendraitdonc de r�server � des temps plus fastes son amortissement progressif. Etant donn� l��tat pr�sent des conditions en Moselle, cela revient � sacrifier toute une g�n�ration afin de d�charger �ventuellement ses des�cendants, bien que cet objectif ne soit pas atteignable par un proc�d� qui �puise et d�cime des milliers de familles. Seul, le d�blocage total des b�n�fices de la propri�t� communale peut venir en aide au vigneron appauvri et an�anti. Nous aspirons � un nouvel ordre communal qui soit d�barrass� de ses d�fauts actuels que nous ressentons si vivement, tel un poisson gisant au sec aspire � retrouver l�eau.


Annonce de la � Justification � du + + Correspondant de la Moselle

Rheinische Zeitung, n� 3, 3 janvier 1843.

Cologne, le 2 janvier. Etant donn� que les � rectifications � de Monsieur le pr�sident von Schaper et les explications exig�es de la Rheinische Zeitung ont �t� largement diffus�es par la presse, nous nous voyons oblig�s de d�clarer que notre r�ponse dont le retard n�est d� qu�� la n�ces�sit� de nombreuses enqu�tes para�tra la semaine prochaine.


Justification du ++ correspondant de la Moselle

Section A et B

Rheinische Zeitung, n� 15,
15 janvier 1843.

++ de la Moselle, janvier

Les n�s 346 et 348 de la Rheinische Zeitung contiennent deux de mes articles : l'un concerne la p�nurie de bois en Moselle, l'autre la participation exceptionnelle des Mosellans � l'Ordre de Cabinet de sa Majest� du 24 d�cembre 1841 et � l'exercice plus libre de la presse suscit� par cet Ordre. Le dernier article est peint dans des tons rudes et, si l�on veut, crus. Celui qui per�oit de fa�on imm�diate et fr�quente la voix impitoyable de l'indigence o� se trouve le peuple qui l'entoure perd facilement la mesure esth�tique ; celle-ci s'exprime au travers d'images tr�s raffin�es et tr�s dis�cr�tes, il consid�re m�me peut-�tre que c'est un devoir politique que de tenir un instant, publiquement, ce langage populaire de la d�tresse, n'ayant pas eu l'occasion de le d�sapprendre dans son pays. Mais, s'il s'agit � pr�sent de prouver la v�rit� de tels propos, il est bien �videmment difficile de limiter la d�monstration au contenu des mots, car, � cet �gard, chaque r�sum� serait faux, et il serait de toute fa�on impossible de rendre le sens d'un discours sans r�p�ter le discours lui-m�me. Par cons�quent, lorsqu'on avait affirm�, par exemple : � On tint le cri de d�tresse des vignerons pour des vocif�rations insolentes �, cela revenait � ne pouvoir exiger qu'� bon compte que soit pos�e une �quation � peu pr�s juste ; c'est-�-dire, que soit mis en �vidence un objet qui corresponde, en quelque sorte, � la d�notation globale � vocif�rations insolentes � et qui fasse de celle-ci une d�notation non inappropri�e. Cette preuve �tant livr�e, il ne peut plus �tre question de v�rit�, mais plut�t de pr�cision linguistique, et il serait difficile de rendre un jugement qui ne f�t pas probl�matique sur les nuances presque imperceptibles de l'expression langagi�re.

Deux rescrits de Monsieur le pr�sident von Schaper, parus dans la Rheinische Zeitung, n� 352, dat�e du 15 d�cembre, � Coblence, m'ont incit� � formuler les remarques ci-dessus : plusieurs questions relatives � mes deux articles cit�s plus haut m'y �taient adress�es. La parution tardive de ma r�ponse est li�e tout d'abord au contenu de ces questions. En effet, un corres�pondant de presse fait part en toute conscience de la voix du peuple tellequ'elle est parvenue � ses oreilles, mais, en aucun cas, il ne doit �tre en mesure d'en faire une pr�sentation exhaustive et motiv�e dans le d�tail, dans ses motiva�tions et ses sources. En dehors de la perte de temps et des nombreux moyens r�clam�s par un tel travail, le correspondant d'un journal ne peut que se consi�d�rer comme un membre mineur d'un corps aux ramifications multiples, au sein desquelles il se choisit librement une fonction. Et si l'un des correspon�dants illustre plus l'impact imm�diat d'une situation de d�tresse sur l'opinion populaire, l'autre, l'historien, commentera son histoire, l'homme de c�ur traitera la d�tresse elle-m�me, l'�conomiste d'Etat exposera les moyens de la supprimer ; cette derni�re question, quant � elle, peut �tre r�solue de diff�rentes mani�res, soit � un niveau local, soit par rapport � l'Etat tout entier.

Ainsi, c'est une vive agitation de la presse qui fera appara�tre l'enti�re v�rit�. Car si le tout ne se pr�sente d'abord que dans la mise en �vidence concomitante de points de vue diff�rents, tant�t d�lib�r�ment, tant�t fortuite�ment, finalement, ce travail de la presse a pr�par�, pour l'un des siens, la documentation � partir de laquelle il va maintenant reprendre le tout. C'est en divisant le travail que la presse prend peu � peu possession de toute la v�rit� : non par le travail d'un seul homme, mais parce que beaucoup en ont assum� une certaine part.

Une autre raison est � l'origine du retard de ma r�ponse : la r�daction de la Rheinische Zeitung, � la suite du premier article que je lui envoyai, me r�clama encore plusieurs �claircissements compl�mentaires ; apr�s l'envoi d'un second et d'un troisi�me article, elle r�clama d'autres addenda et, finalement, cet article-ci. En fin de compte, d'une part, la r�daction me demanda la commu�nication de mes sources, d'autre part, elle se r�serva la publication de mes envois jusqu'� ce qu'elle ait obtenu elle-m�me, par d'autres voies, la confir�mation de mes informations [7].

En outre, ma r�ponse parait anonymement. J'ai, en effet, acquis la convic�tion que l'anonymat est li� � la nature de la presse quotidienne ; il fait d'un journal, lieu o� se rassemblent de nombreux avis individuels, l'organe d'un seul esprit Le nom isolerait si rigidement chaque article, comme le corps isole les personnes les unes des autres, que cela reviendrait � nier totalement le fait qu'un article n'est qu'un membre compl�mentaire. Enfin, l'anonymat permet plus d'impartialit� et plus de libert� non seulement � celui qui parle, mais aussi au public puisque celui-ci ne voit pas l'homme qui parle, mais ta chose dont il parle ; le public, ainsi non perturb� par la personne empirique, fait de la seule valeur intellectuelle le crit�re de son jugement.

Comme je tais mon nom, je ne nommerai, dans toutes les informations d�taill�es, les fonctionnaires et les communes, que si j'utilise des documents imprim�s disponibles en librairie, ou si la divulgation du nom ne comporte aucun risque. La presse doit d�noncer des conjonctures, mais elle ne doit pas, selon ma conviction, d�noncer les personnes, � moins qu'il n'existe d'autre rem�de � un mal public ou que l'opinion publique ne contr�le d�j� toute la vie politique et que, par cons�quent, la notion allemande de d�nonciation n'ait disparu.

En conclusion de ces remarques d'introduction, je crois pouvoir exprimer un souhait l�gitime : que Monsieur le pr�sident, apr�s lecture de l'ensemble de mon expos�, soit convaincu de la puret� de mon intention, et qu'il ne veuille bien voir dans les erreurs possibles qu'une conception erron�e des choses, mais en aucun cas une disposition d'esprit malveillante de ma part. Mon expos� doit �tablir par lui-m�me, m�me si je maintiens effectivement mon anonymat, si j'ai m�rit� la s�v�re accusation de diffamation, ainsi que celle d'avoir poursuivi le but de susciter l'insatisfaction et le m�contentement.

Ces accusations seraient d'autant plus douloureuses qu'elles �manent d'un homme qui est particuli�rement appr�ci� et v�n�r� dans la Province rh�nane.

Afin de faciliter une vue d'ensemble, j'ai divis� ma r�ponse selon les th�mes suivants :

A) La question relative � la distribution du bois ;

B) Le rapport de la r�gion mosellane � l'Ordre de Cabinet du 24 d�cembre 1841 et � l�exercice plus libre de la presse qu'il suscita ;

C) Les gangr�nes de la Moselle ;

D) Les vampires de la Moselle ;

E) Propositions d'aides.

A) La question relative � la distribution du bois

Dans mon article � De la Moselle, le 12 d�cembre � de la Rheinische Zeitung, n� 348, j'introduis le fait suivant : � La commune de plusieurs milliers d'�mes � laquelle j'appartiens est propri�taire des plus belles for�ts ; mais, je ne peux pas me souvenir que ses habitants aient jamais tir� quelque b�n�fice imm�diat en parts de bois de leur propri�t�. � Monsieur le pr�sident observe � ce propos : � Une telle fa�on de proc�der qui n'est pas en accord avec les dispositions l�gales ne pourrait se justifier que par des circonstances tout � fait particuli�res �, et il exige en m�me temps, pour preuve de cet �tat de fait, la divulgation du nom de la commune.

En toute sinc�rit� j'avoue. D'une part, je pense qu'un proc�d� qui n'est pas en accord, qui est donc en contradiction avec la loi, peut difficilement �tre justifi� par des circonstances, mais demeure toujours ill�gal ; d'autre part, il ne m'est pas possible de consid�rer comme ill�gal le proc�d� que j'expose.

L'instruction (dat�e du 31 ao�t 1839 � Coblence), promulgu�e � la suite de la loi du 24 d�cembre 1816 et de l�Ordre de Cabinet de Sa Majest� du 18 ao�t 1835, et publi�e en annexe du Bulletin officiel, n� 62, du gouverne�ment royal � Coblence, concerne l'administration des for�ts de la commune et des institutions dans les d�partements de Coblence et de Tr�ves. Elle d�finit litt�ralement, dans le § 37, ce qui suit :

� Au sujet de l'exploitation des mat�riaux provenant des for�ts, il est de r�gle qu'il doit �tre vendu autant que n�cessaire pour couvrir les frais occa�sionn�s par la for�t (imp�ts et d�penses administratives). �

� En outre, les d�cisions communales d�terminent si les mat�riaux doivent �tre vendus au plus offrant pour la couverture d'autres besoins de la commune, ou s'ils doivent �tre distribu�s entre les membres de la commune, totalement ou partiellement, � titre gratuit ou contre une taxe d�termin�e. Toutefois, la r�gle veut que le bois de chauffage et le bois d'ouvrage soient distribu�s in natura, mais que le bois d'�uvre soit vendu au plus offrant tant qu'il n'est pas indispensable � des constructions de la commune ou pour abriter des sinistr�s � la suite d'incendies, etc. �

L'instruction, promulgu�e par un pr�d�cesseur de Monsieur le pr�sident de la Province rh�nane [8], me semble prouver que la distribution du bois de chauffage parmi les membres de la commune n'est ni exig�e ni interdite par la loi, mais que c'est simplement une question de convenance. Dans l'article en question, je n'ai fait moi-m�me que pr�senter la convenance du proc�d�. Par cons�quent, la raison pour laquelle Monsieur le pr�sident exigeait de conna�tre le nom de la commune n'existe plus, puisqu'il ne s'agit plus d'en�qu�ter sur l'administration d'une commune, mais de modifier une instruction. Cependant, je n'h�site pas � habiliter, sur demande expresse de Monsieur le pr�sident, la r�daction de la Rheinische Zeitung � divulguer le nom de la commune dans laquelle je ne me rappelle pas une seule distribution de bois. Cette divulgation ne d�noncerait pas le conseil communal, mais ne pourrait que favoriser le bien-�tre de la commune.

Rheinische Zeitung, n� 17,
17 janvier 1843.

B) Le rapport de la r�gion mosellane � l'Ordre de Cabinet du 24 d�cembre 1841 et � l'exercice plus libre de la presse qu'il suscita

A propos de mon article � Bernkastel, le 10 d�cembre � de la Rheinische Zeitung, n� 346, dans lequel j'affirme que nul n'aurait salu� avec plus d'en�thousiasme la libert� plus grande donn�e � la presse par l'Ordre de Cabinet Royal du 24 d�cembre 1841 que le Mosellan, vu sa situation de contrainte particuli�re, Monsieur le pr�sident note la chose suivante :

� Si cet article doit avoir un sens, c'est que l'on aurait refus� au Mosellan la possibilit� de commenter publiquement et franchement sa d�tresse, les causes de celle-ci et les moyens d'y rem�dier. Je doute qu'il en soit ainsi. En effet, alors que les autorit�s s'efforcent de rem�dier � la d�tresse reconnue des vignerons, rien ne leur a sembl� plus souhaitable que la discussion la plus franche et la plus sinc�re possible de la situation r�gnant l�-bas. � � Monsieur l'auteur de l'article ci-dessus m'obligerait beaucoup, par cons�quent, s�il voulait avoir la bont� de v�rifier avec soin les cas o� les autorit�s ont entrav� une discussion sinc�re et publique sur la d�tresse des Mosellans avant m�me la promulgation de l'Ordre de Cabinet Royal du 24 d�cembre. � Monsieur le pr�sident remarque plus loin que : � Du reste, comme dit l'article cit� plus haut, longtemps les instances sup�rieures auraient tenu pour des vocif�rations insolentes les cris de d�tresse des vignerons, je pense pouvoir proclamer que ceci n'est pas vrai. �

Ma r�ponse � ces questions va suivre la d�marche suivante. Je m'effor�cerai de prouver ceci :

1) Tout d'abord, la n�cessit� d'une presse livre s'impose de par la nature sp�cifique de la d�tresse r�gnant en Moselle, abstraction faite des autorisa�tions donn�es � la presse avant l'Ordre de Cabinet de Sa Majest� du 24 d�cembre 1841.

2) M�me si aucun emp�chement particulier n'a entrav� � la discussion franche et publique � avant la promulgation de l'Ordre de Cabinet, mon affir�mation ne perd rien de son exactitude ; l�intense participation des Mosellans � l'Ordre de Cabinet de Sa Majest�, tout comme l'exercice plus libre de la presse qui d�coula de cet Ordre restent aussi compr�hensibles.

3) Des circonstances toutes particuli�res ont emp�ch� une discussion � franche et publique �.

Dans ce contexte, il ressort donc � quel point mon affirmation selon laquelle � l'�tat de d�solation des vignerons a longtemps �t� mis en doute par les autorit�s sup�rieures, et leur cri de d�tresse tenu pour des vocif�rations inso�lentes � est ou non une v�rit�.

Ad. 1. � Lorsqu'on enqu�te sur des faits du ressort de l'Etat, on est trop facilement tent� de n�glig� la nature concr�te des conditions sociales et de tout expliquer par la volont� des personnes agissantes. Il est cependant des conditions qui d�terminent les actions aussi bien des particuliers que de chaque autorit� et qui en sont aussi ind�pendantes que la mani�re dont nous respirons. Si l'on se range d'embl�e � ce point de vue concret, on ne pr�su�mera pas une bonne ou une mauvaise volont�, exclusivement, d'un c�t� ou de l'autre, mais on verra agir des conditions sociales l� o�, � premi�re vue, ne semblent agir que des personnes. Sit�t prouv� qu'un fait a �t� rendu n�ces�saire par les conditions sociales, il ne sera plus difficile de d�couvrir les cir�constances ext�rieures dans lesquelles il s'est r�ellement produit et les cir�constances dans lesquelles il ne pouvait se produire, m�me si sa n�cessit� pr�existait. On pourra � peu pr�s d�finir ceci avec la certitude du chimiste qui d�termine dans quelles circonstances ext�rieures des substances voisines s'associent. En d�montrant que la particularit� de la d�tresse sur les bords de la Moselle entra�ne la n�cessit� d'une presse libre, nous croyons donner � notre expos� un fondement qui va au-del� de tout crit�re personnel.

La d�tresse de la r�gion mosellane ne peut �tre consid�r�e comme une conjoncture simple. On devra, au moins, toujours distinguer deux aspects : la conjoncture priv�e et la conjoncture de l'Etat, car on ne peut pas plus s�parer la r�gion mosellane de l'Etat que sa d�tresse de l'administration de l'Etat. C'est d'abord l'intrication de ces deux aspects qui constitue l'�tat r�el de la r�gion mosellane. Afin de d�couvrir maintenant les modalit�s de cette intri�cation, relatons le contenu d'une discussion authentique entre un organe priv� et un organe public.

[R�sum�]

Ces r�sum�s comment�s ne concernent que les parties de l'article reprenant presque litt�ralement des extraits de documents publics, exemplifiant l'argumentation de Marx. Ses apports peuvent y �tre consid�r�s comme minimes, en fait, il cite.

La direction de l'association pour le d�veloppement de la culture de la vigne de la Moselle et de la Sarre pr�sente, le 10 octobre 1839, une requ�te au ministre des Finances, von Alvensleben, et au directeur g�n�ral de la fiscalit�, K�hlmeyer. La direction avait demand� de reviser la taxation des des terres et de renoncer � l'imposition des vignerons pour l'ann�e pr�c�dente. L'all�gement de l'imp�t fut refus� et la r�vision de la taxation ren�voy�e au gouvernement de Tr�ves. Celui-ci demanda un avis au chef du bureau du cadastre, von Zuccalmaglio. Cet avis montra peu de compr�hension � l'�gard des vignerons et recommanda de refuser la r�vision en bloc. Encourag� par le pr�sident du gouvernement de Tr�ves, von Schaper, qui fut en bien mauvais rapports avec Zuccamaglio, l'association publia peu apr�s une r�plique au rapport du chef du bureau du cadastre.

L'association publia dans le n� 4 de son journal, les Mitteilungen (Tr�ves, 1841), tous les documents sur cette affaire. De ces documents, Marx utilise le seul rapport de Zuccamaglio et la r�plique de l'association. Consid�rant, � juste titre, Zuccamaglio comme un expert administratif qui avait lui-m�me collabor� � la taxation des vignes dans les ann�es vingt, il oppose les extraits du rapport de celui-ci aux extraits de la r�plique et le traite comme un expos� exemplaire des contradictions entre l'opinion administrative et l�opinion publique. Dans son � documentaire �, Marx regroupe les extraits du rapport officiel et ceux de la r�plique autour de trois sujets, les estimations du bureau du cadastre, les frais de production des vignerons, la paup�risation des vignerons et la situation de classe des propri�taires de terre.

Les estimations du bureau du cadastre

Le rapporteur officiel : Tout calcul de l'association ignorerait des pr�misses d�ment constat�es. Car en dehors de l'intervention administrative et du contr�le de l'administration, aucun particulier, que ce soit un individu ou une association ne serait en mesure de disposer de l'ensemble des informations exactes. En effet, il serait dans l'int�r�t de nombreux propri�taires de dissimuler la v�rit� sur les b�n�fices obtenus.

La r�plique : L�association refuserait de discuter des chiffres dont les seules sources, comme le rapporteur l'affirme, seraient des sources d'ori�gine administrative. On ne contesterait pas l'�ventualit� selon faquelfe les chiffres cit�s par le rapporteur aient une certaine validit� concernant les p�riodes ant�rieures. Par contre, elles ne seraient d'aucune utilit� quant aux changements survenus r�cemment.

Les frais de production

Le rapporteur officiel : Les frais, caus�s par chaque tonneau, ne pour�raient pas �tre r�clam�s comme frais de production. G�n�ralement, le prix du vin serait calcul� sans tenir compte du prix du tonneau. Si, par contre, le vin est vendu par tonneau, le prix de celui-ci s�ajouterait tout naturelle�ment � celui du vin.

La r�plique : Elle fait valoir que le vin est g�n�ralement vendu par tonneau. Par cons�quent, le prix du vin est indivisible. Les rares cas o� les patrons de tavernes ach�teraient le vin sans tonneau pourraient �tre pass�s sous silence. On ne pourrait pas comparer le vin aux autres mar�chandises qui, conserv�es ou stock�es dans les magasins, seraient embal�l�es et envoy�es aux frais de l'acheteur. La vente du vin est depuis des temps imm�moriaux une vente au tonneau. Le prix des tonneaux ne figurant as dans le prix de la consommation devrait donc �tre ajout� aux frais de production.

La pauvret� des vignerons et la situation de classe des propri�taires de terre

Le rapporteur officiel reconna�t que la d�tresse de la Moselle a sensi�blement augment� par rapport � la situation d�avant la cr�ation de l'union douani�re. Si une v�ritable paup�risation de la population �tait � craindre, sa cause devrait �tre recherch�e dans le b�n�fice excessif obtenu pendant les ann�es ant�rieures. Gr�ce au monopole commercial du vin et gr�ce aux bonnes r�coltes de ces ann�es, un luxe jamais vu se serait r�pandu dans la r�gion. De fortes sommes d'argent auraient incit� les vignerons � acqu�rir toujours davantage de terres et � s'endetter. Cette situation tr�s n�faste pour beaucoup de vignerons aurait pour cons�quence de limiter la production de vin aux terres du meilleur cru qui, au demeurant, appartiennent aux propri�taires de terre. Car ceux-ci disposent des moyens de r�sister � la concurrence des autres pays de l'union douani�re. Mais leur situation ant�rieure aurait �t� bel et bien une situation artifi�cielle ; et cela se paierait aujourd'hui. L'Etat devrait se cantonner � sou�lager autant que possible le passage transitoire que vit, � pr�sent, la population.

La r�plique : Ne serait-il pas �vident que quelqu'un qui ne fait que craindre est dans l'impossibilit� de voir la pauvret� se r�pandre parmi les Moselians, une pauvret� qui fait d�j� rage parmi toute la population et n'�pargne personne. Il para�t absurde de nommer � luxe � le simple fait que les vignerons, gr�ce aux bonnes r�coltes d'autrefois, investissent leurs b�n�fices afin de contribuer par leur travail et la culture des vignobles nouvellement acquis � la prosp�rit� de toute la r�gion. En fin de compte, l'administration consid�re que les vignerons ne sont m�me pas dignes d'une tentative pour faciliter leur existence afin de conna�tre de meilleures ann�es et de redevenir ce qu'ils ont �t� toujours pour l'Etat : une source de revenus.

(fin du r�sum�)

Le rapporteur officiel : Il est bien compr�hensible que les propri�taires de terres nobles, relativement riches, tirent b�n�fice, ces temps-ci, de cette indigence, celle des vignerons relativement pauvres, afin de se procurer toutes sortes de facilit�s et d�avantages par un expos� sans nuances, oppo�sant l��tat ant�rieur heureux � l'�tat actuel moins favorable, mais toujours et encore profitable pour eux.

Rheinische Zeitung, n� 18,
18 janvier 1843.

R�plique de la direction de l'association : � Notre honneur et notre cons�cience nous imposent de nous d�fendre de Y accusation de tirer b�n�fice de l'indigence des vignerons pauvres pour nous octroyer toutes sortes d'avan�tages et de facilit�s par un expos� sans nuances. �

� Non, nous d�clarons que toute intention �go�ste nous est �trang�re et nous esp�rons que cela suffira � nous justifier. Dans toute cette d�marche, nous n'avions d'autre but que celui d�attirer l'attention de l'Etat, par une description franche et v�ridique des conditions des vignerons pauvres, sur ce qui le menace si cette situation s'�tend. L'id�e qu'une telle mis�re va per�sister ou m�me grandir saisit d'horreur, pour l'avenir, quiconque mesure les restructurations qui ont engendr� progressivement la triste situation actuelle des vignerons dans leurs rapports domestiques, industriels, et m�me moraux. �

Il faut, tout d'abord, reconna�tre que le gouvernement n'avait pas une conviction tranch�e, mais h�sitante, entre le point de vue du rapporteur et celui adverse des viticulteurs. Si l'on songe, en outre, que le rapport de Monsieur von Zuccalmaglio date du 12 d�cembre 1839 et la r�ponse de l'association du 15 juillet 1840, il s'ensuit que jusque-l�, le point de vue de Monsieur le rapporteur, tout en n'�tant pas le seul et unique, devait pourtant avoir toujours �t� le point de vue dominant du gouvernement. Du mo�ns, ce point de vue fait encore figure, en 1839, de rapport du gouvernement. Il s'oppose au m�moire de l'association, en quelque sorte, comme r�sum� du point de vue gouvernemental. Car on est autoris�, bien s�r, sous un gouverne�ment cons�quent, � consid�rer le dernier de ses points de vue comme la somme de ses points de vue pr�c�dents et de ses exp�riences. Ce rapport ne se contente pas de ne pas reconna�tre le caract�re g�n�ral de l'indigence, il ne propose m�me pas de rem�de � la d�tresse reconnue, puisqu'il dit : � L'Etat pourra se cantonner � soulager la population dans cette �tape de .transition par des moyens appropri�s. �

Mais ce qu'il faut entendre par p�riode transitoire dans ces conditions, c'est la ruine progressive. La ruine des vignerons pauvres est consid�r�e pour ainsi dire comme un �v�nement naturel auquel l'homme est r�sign� par avance et dont il ne cherche qu'� adoucir l'in�vitable. � Du reste, dit-on, cela se passera sans grosses calamit�s. � Alors l'association pose une question : Le vigneron mosellan ne m�rite-t-il pas m�me � une tentative � ? Si le gouverne�ment avait eu une opinion r�solument oppos�e au point de vue de l'associa�tion, il aurait modifi� d'embl�e le rapport officiel, puisqu'il �nonce nettement une chose aussi importante que le devoir et la fermet� de l'Etat dans cette affaire. On en d�duit que la d�tresse des vignerons pouvait �tre reconnue sans que l'on aspire vraiment � y rem�dier.

Nous donnons, � pr�sent, un autre exemple montrant comment fut rap�port�e aux autorit�s la situation mosellane. En 1838, un haut fonctionnaire de l'administration se rendit dans la r�gion moseliane. Dans une conf�rence tenue � Pisport par deux sous-pr�fets, il interrogea l'un d'eux sur la situation de fortune des Mosellans et obtint cette r�ponse : � Les vignerons vivaient trop luxueusement et, par cons�quent, leurs affaires pourraient ne pas aller mal. � Pourtant le luxe appartenait d�j� � une vieille l�gende. Relevons seule�ment au passage, � quel point on n'a pas encore abandonn� cette opinion qui concorde avec le rapport du gouvernement. Souvenons-nous de la voix qui, dans l'annexe I du Frankfurter Journal, n� 349 (en 1842), se fit entendre de Coblence et parla � de la soi-disant d�tresse des vignerons sur les rives de la Moselle �.

Les autorit�s sup�rieures refl�tent pareillement le point de vue adminis�tratif que l'on vient d'entendre : on doute de � la situation d�sesp�r�e �, des effets g�n�raux de la mis�re et donc aussi de ses causes g�n�rales. Dans Les Mittheilungen, organe de l'association utilis� par nous, on trouve, entre autres, les r�ponses du minist�re des Finances � diverses requ�tes : � Bien que, comme en t�moignent les prix du vin en cours sur le march�, les propri�taires des vignobles, tax�s selon la premi�re et la deuxi�me classe fiscale en Moselle et dans la Sarre, n'aient pas lieu d'�tre m�contents, on n'ignore pas cependant que les viticulteurs, dont le produit est d'une qualit� inf�rieure, ne se trouvent pas dans des conditions tout aussi favorables. � Ce qui donne dans une r�ponse � une demande d'exon�ration d'imp�ts pour 1838 : � Suite aux r�criminations que vous nous avez adress�es, le 10 octobre de cette ann�e, nous vous informons que nous sommes dans l�impossibilit� de r�pondre � votre demande d'exon�ration compl�te d'imp�t sur le vin pour 1838, puisque vous n'appartenez nullement � la classe qui n�cessite le plus d'�gards et dont l'indigence (...) est � rechercher dans des conditions tout autres que celles des imp�ts. �

Comme nous souhaitons n'�difier tout notre expos� que sur des faits et comme nous nous effor�ons, autant que possible, de n'�lever que des faits � une forme g�n�rale, nous ram�nerons donc d'abord les dialogues entre l'Association de Tr�ves pour le D�veloppement de la viticulture et le rappor�teur du gouvernement � leurs id�es fondamentales.

Le gouvernement doit d�signer un fonctionnaire pour qu'il donne son avis sur le m�moire. Il d�signe, bien s�r, un fonctionnaire aussi comp�tent que possible, donc, de pr�f�rence, un fonctionnaire ayant lui-m�me particip� � la r�gularisation de la situation en Moselle. Ce fonctionnaire ne s'interdirait pas de d�couvrir, dans la plainte en question, des attaques contre sa capacit� d'appr�ciation et son activit� administratives pass�es. Quoi de plus naturel pour un fonctionnaire conscient d'avoir rempli son devoir et de conna�tre ses dossiers en d�tail, lorsqu'il se trouve soudain confront� � un point de vue oppos�, que de prendre parti contre les requ�rants ; leurs intentions qui peuvent toujours �tre li�es � des int�r�ts priv�s, lui paraissent suspectes et sont donc suspectes. Au lieu de prendre en compte leur expos�, il cherche � le r�futer. Il faut ajouter � cela que le vigneron pauvre, comme on peut le voir, n'a ni le temps ni l'instruction pour d�crire sa situation, qu'il ne peut donc s'exprimer, tandis que le viticulteur, lui, qui sait parler et qui, selon toute apparence, n'est pas pauvre, a l'air de ce fait de parler sans motif. Si on reproche m�me au viticulteur instruit son manque de capacit� d'appr�ciation administrative, comment le vigneron inculte pourrait-il faire face � cette m�me capacit� !

De leur c�t�, les particuliers qui ont constat� tout le d�veloppement de la mis�re r�elle des autres et la voient se glisser jusque chez eux, qui, en outre, sont conscients que l'int�r�t priv� qu'ils prot�gent est tout autant celui de l'Etat, ce qu'ils invoquent comme tel, ne ressentent pas seulement une bles�sure � leur propre honneur, mais pensent aussi qu'un point de vue partial et arbitraire a d�natur� la r�alit�. C'est pourquoi ils s'�l�vent contre la bureau�cratie abusive, d�non�ant les contradictions entre le v�ritable visage du monde et celui qu'il prend dans les bureaux, et opposent aux donn�es officielles des donn�es pratiques ; ils ne peuvent enfin s'emp�cher de soup�onner une intention �go�ste dans la totale m�connaissance o� est tenue leur pr�senta�tion des faits, si assur�e quant � sa conviction et si claire en elle-m�me, c'est-�-dire l'intention de faire valoir l'entendement bureaucratique contre l'intelligence du citoyen. Ainsi, le particulier, lui aussi, en conclut-il que le fonctionnaire comp�tent, aux prises avec sa situation, ne l'exposera pas sans pr�jug�, justement parce qu'elle est partiellement son oeuvre ; tandis que, le fonctionnaire libre de tout pr�jug� qui d�tiendrait l'impartialit� suffisante pour donner un avis ne serait pas comp�tent. Par contre, si le fonctionnaire reproche au particulier d'�lever ses affaires priv�es au niveau d'un int�r�t d'Etat, le particulier reproche au fonctionnaire de rabaisser l'int�r�t d'Etat � celui de ses affaires priv�es, au niveau d'un int�r�t qui exclut tous les autres en tant que profanes ; si bien que la r�alit� la plus �vidente lui semble illusoire com�par�e � la r�alit� qui transpara�t des dossiers, r�alit� administrative donc �ta�tique, et � l'intelligence qui repose sur cette r�alit� ; si bien que, seul, le champ d'action de la bureaucratie lui appara�t comme l'Etat tandis que le monde ext�rieur � ce champ d'action lui appara�t comme objet d'Etat, d�pourvu de tout principe et de toute capacit� d'appr�ciation �tatique. Enfin, le fonction�naire rejette, en cas de malaise notoire, presque tout sur les hommes priv�s qui seraient personnellement responsables de leur situation et, au contraire, ne permet aucune remise en question de la sup�riorit� des principes et des institutions administratifs, lesquels sont eux-m�mes des cr�ations offi�cielles, et ne veut renoncer � quoi que ce soit ; le particulier, par contre, conscient de son labeur, de son �pargne et de son dur combat contre la nature et les conditions sociales, demande alors que le fonctionnaire, qui, seul, d�tient un pouvoir cr�ateur d'Etat, fasse dispara�tre aussi son indigence ; et qu'il prouve aussi, lui qui pr�tend tout remettre en ordre, qu'il est dans son pouvoir de redresser les mauvaises conditions par ses actions ou, du moins, qu'il reconnaisse que les institutions appropri�es � une certaine �poque ne conviennent pas � une �poque totalement transform�e.

Ce point de vue du savoir officiel sup�rieur et cette opposition entre l'admi�nistration et son objet se retrouvent � l'int�rieur du monde des fonctionnaires. De m�me que le bureau du cadastre valorise principalement, dans son �tude sur la r�gion mosellane, l'infaillibilit� du cadastre, et que le minist�re des Finances affirme que le mal r�side � tout � fait ailleurs � que dans les causes � fiscales �, ainsi l'administration ne trouvera jamais la raison de l'indigence en son sein, mais en dehors d'elle. Le fonctionnaire individuel proche des pro�bl�mes du vigneron voit les conditions meilleures ou diff�rentes de ce qu'elles sont, non pas intentionnellement, mais n�cessairement. Il est convaincu que la question du bien-�tre de sa r�gion r�side dans la question de l'exercice de sa bonne administration. Il n'est pas de sa comp�tence de s�interroger sur la valeur des principes administratifs et des institutions ; car seules les autorit�s sup�rieures o� r�gne une connaissance plus �tendue et plus approfondie de la nature officielle des choses, c'est-�-dire de leur rapport avec l'ensemble de l'Etat, peuvent juger en cette mati�re. Le fonctionnaire local peut, en toute sinc�rit�, �tre convaincu de sa bonne administration. D'une part, il ne jugera donc pas la situation si d�sesp�r�e et si, d'autre part, elle lui para�t ainsi, il en cherchera la raison hors de l'administration, partiellement dans la nature ind�pendante des hommes, partiellement dans la vie priv�e ind�pendante de l'administration, partiellement dans les hasards qui ne d�pendent de personne.

L'autorit� coll�giale sup�rieure doit manifestement accorder � ses propres fonctionnaires une plus grande confiance qu'aux administr�s dont on ne peut attendre la m�me capacit� d'appr�ciation. Une autorit� coll�giale poss�de, de plus, ses traditions. Elle a aussi, par cons�quent, ses principes �tablis une fois pour toutes en ce qui concerne la r�gion mosellane et d�tient, par le cadastre, l'image officielle du pays ; elle dispose de directives officielles quant aux recettes et d�penses et, partout, poss�de, outre la r�alit� concr�te, une r�alit� bureaucratique qui conserve son autorit�, en d�pit de toute l'�vo�lution de l'�poque. Ajoutons que ces deux faits � la loi de la hi�rarchie bureau�cratique et le principe d'une double citoyennet�, la citoyennet� active et inform�e de l'administration et la citoyennet� passive et ignorante des admi�nistr�s � se compl�tent mutuellement. Selon la maxime d�apr�s laquelle l'Etat poss�de, dans l'administration, son existence consciente et active, chaque gouvernement consid�rera la situation d'une r�gion quant � son aspect officiel comme l'�uvre de son pr�d�cesseur. Selon les r�gles hi�rarchiques, ce pr�d�cesseur occupera la plupart du temps d�j� une place sup�rieure, souvent la position imm�diatement sup�rieure [9]. Enfin, d'une part, chaque gouvernement poss�de la r�elle conscience d'Etat selon laquelle l�Etat doit imposer ses lois en d�pit de tous les int�r�ts priv�s ; d'autre part, le gouvernement doit non pas cr�er, mais utiliser, en tant qu'autorit� adminis�trative particuli�re, les institutions et les lois. Par cons�quent, il ne peut chercher � r�former l'administration elle-m�me, mais uniquement l'objet de celle-ci. Il ne peut pas am�nager ses lois pour la r�gion mosellane, il ne peut que chercher � am�liorer le bien-�tre de la r�gion mosellane dans le cadre des lois administratives en vigueur. Plus un gouvernement est actif et sinc�re dans sa tentative de soulager une indigence manifeste, �treignant toute une contr�e, dans le cadre des principes administratifs et des institutions en vigueur, plus le mal s'obstine � r�sister et � cro�tre, malgr� la bonne adminis�tration et plus le gouvernement est profond�ment, sinc�rement et in�branla�blement convaincu qu'il s'agit d'un �tat d'indigence incurable auquel l'admi�nistration, c'est-�-dire l'Etat, ne peut rien changer et qui n�cessite plut�t un changement de la part des administr�s.

Mais si les autorit�s administratives inf�rieures suivent les autorit�s admi�nistratives sup�rieures, dans leur capacit� d'appr�ciation officielle sur la valeur des principes de l'administration, et si elles se portent garantes de leur application loyale et scrupuleuse, les administrations sup�rieures s'assurent ainsi du bien-fond� des principes g�n�raux et croient leurs subordonn�s capables d'un jugement de d�tail correct dont ils ont, au demeurant, des preuves officielles.

C'est ainsi qu'un gouvernement, avec la meilleure volont� du monde, peut en arriver � ce principe �nonc� par le rapporteur gouvernemental de Tr�ves � propos de la r�gion mosellane : � L'Etat pourra se cantonner � sou�lager la population dans cette �tape de transition par des moyens appropri�s.

Si nous consid�rons maintenant quelques-uns des moyens connus utilis�s par le gouvernement pour adoucir l'indigence de la Moselle, notre raisonne�ment se trouvera confirm� par l'histoire administrative publique, puisqu'il nous est impossible, bien s�r, de porter un jugement sur les bases d'une his�toire officieuse. Nous relevons parmi ces moyens : les d�gr�vements d'imp�ts pour les mauvaises ann�es de r�colte, le conseil de s'orienter vers d'autres genres de culture, par exemple la s�riciculture [10], et, finalement, la motion tendant � limiter la parcellisation des terres. Le premier moyen ne doit �tre, en v�rit�, qu�un all�gement, non un rem�de. Il s'agit d'un moyen pro�visoire o� l'Etat fait une exception � ses r�gles et une exception qui n'est pas on�reuse. Ce n'est pas l'indigence constante, mais une manifestation excep�tionnelle de celle-ci qui sera all�g�e ; il ne s'agit pas de la maladie chronique � laquelle on s'est habitu�, c'est une maladie aigu� qui surprend.

Les deux autres moyens ne rel�vent pas de la comp�tence de l'administra�tion. L'activit� positive qu'elle d�veloppe � pr�sent consiste, d'une part, � enseigner au Mosellan comment s'en sortir par ses propres moyens, d'autre part, � lui proposer d'amputer et d'abandonner un droit en vigueur jusqu'alors. Nous assistons donc ici � la r�alisation de la d�monstration d�velopp�e plus haut. L'administration a jug� que la d�tresse mosellane est incurable et que les circonstances qui la motivent trouvent leurs racines hors de ses principes et de son activit� : elle conseille au Mosellan d'am�nager sa situation de mani�re � ce qu'il s�adapte aux institutions administratives actuelles et puisse trouver une existence tol�rable dans le cadre de celles-ci. De telles proposi�tions, m�me si elles ne lui parviennent que port�es par la rumeur, blessent profond�ment le vigneron. Il sera reconnaissant au gouvernement si celui-ci met sur pied des exp�riences � ses propres frais ; mais il sent que cette ins�truction, entreprendre des exp�riences sur soi-m�me, revient � une renoncia�tion du gouvernement � l'aider par sa propre activit�. Il a besoin d'aide, non de conseil. Autant il fait cr�dit au savoir de la bureaucratie dans un domaine qui le concerne et se tourne vers elle en toute confiance, autant il fait confiance � sa propre capacit� d'appr�ciation dans ce m�me domaine. Limiter la parcel�lisation des terres s'oppose pourtant � la conscience du droit dont il a h�rit� ; il y entrevoit la proposition d'ajouter encore � sa pauvret� physique la pau�vret� juridique, car il voit, dans chaque atteinte � l'�galit� devant la loi, un �tat d'indigence du droit. Il comprend tant�t consciemment, tant�t incons�ciemment que l'administration existe en fonction du pays, et non le pays en fonction de l'administration, que pourtant le rapport est invers� d�s que le pays doit modifier ses m�urs, ses droits, son mode de travail et de propri�t� pour se couler dans le moule administratif. Par cons�quent, s'il m�ne � terme le travail que lui assignent la nature et la coutume, le Mosellan exige que l'Etat lui procure l'environnement propre � lui permettre de prosp�rer, de r�ussir et de vivre. De telles inventions n�gatives rebondissent, par cons�quent, sans succ�s, sur la r�alit�, non seulement des conditions sociales, mais aussi sur celle de la conscience civique.

Rheinische Zeitung, n� 19,
19 janvier 1843.

Quel est donc le rapport de l'administration � l'�tat d'indigence de la Moselle ? L'�tat d'indigence de la Moselle est aussi un �tat d'indigence de l'administration. L'indigence constante d'une partie de l'Etat (et l'on peut, bien s�r, qualifier de constante une indigence qui s'implante presque imper�ceptiblement depuis plus de dix ans en se d�veloppant d'abord lentement, puis irr�sistiblement jusqu'� son paroxysme, et s'�tend de fa�on toujours plus mena�ante), une telle indigence constante est une contradiction entre a r�alit� et les principes de l'administration ; tout comme, par ailleurs, le peuple et le gouvernement consid�rent le bien-�tre d'une r�gion comme une confirmation de fait de l'administration. Mais l'administration, de par sa nature bureaucratique, peut voir les raisons de l'indigence non pas dans la r�gion administr�e, mais seulement dans la r�gion naturelle et civile qui reste ext�rieure � la r�gion administr�e. Les autorit�s administratives, malgr� leur meilleure volont�, leur humanitarisme z�l� et leur intelligence la plus vive peuvent r�soudre des conflits momentan�s et passagers, mais nulle�ment une collision permanente entre la r�alit� et les principes administratifs ; car, ni les obligations de leur charge, ni leur meilleure volont� ne leur per�mettent de briser un rapport fondamental ou, si l'on veut, une fatalit�. Ce rapport fondamental est le rapport bureaucratique, tant au sein du corps administratif que dans ses relations avec le corps administr�.

Toutefois, le viticulteur particulier ne peut m�conna�tre que son option peut �tre troubl�e intentionnellement ou non par l'int�r�t priv�, la v�rit� de cette option ne peut donc pas �tre n�cessairement pr�sum�e. Il comprendra aussi qu'il y a dans l'Etat beaucoup d'int�r�ts priv�s qui souffrent et qui ne peuvent �tre soutenus en d�laissant ou en modifiant les principes g�n�raux de l'administration. De plus, en affirmant le caract�re g�n�ral d'un �tat d'indigence, on affirme que le bien-�tre est menac� d�une fa�on telle, et dans une telle proportion, que la mis�re priv�e devient mis�re d'Etat et que l'enrayer devient un devoir de l'Etat envers lui-m�me ; cette affirmation des administr�s face � l'administration passe de fait pour une inconvenance puisque l'administration est la plus apte � juger si le bien-�tre de l'Etat est menac�, et l'on doit pr�sumer qu'elle d�tient une meilleure capacit� d'appr�ciation du rapport du tout � ses parties que ces parties elles-m�mes. De plus, un individu isol�, ou m�me plusieurs d'entre eux ne peuvent pr�tendre que leur voix est celle du peuple ; par contre, leur expos� conservera toujours le caract�re de plainte priv�e. Finalement, m�me si la conviction des plaignants particuliers gagnait toute la r�gion mosellane, celle-ci, en tant qu'unit� admi�nistrative et partie du Land, prendrait, par rapport � sa propre Province comme � l'�gard de l'Etat, la position d'un particulier dont les convictions et les v�ux devraient �tre �valu�s en fonction de la conviction et du v�u g�n�ral.

Par cons�quent, pour r�soudre la difficult�, l'administration et les admi�nistr�s ont besoin, au m�me titre, d'une tierce partie qui, politique sans �tre officielle, non soumise aux pr�suppos�s bureaucratiques, soit en m�me temps civile sans �tre m�l�e imm�diatement aux int�r�ts priv�s et � leurs n�cessit�s. Cette tierce partie compl�mentaire, � la t�te politique [11] et au c�ur civil, c'est la presse libre. Dans le domaine de la presse, administration et administr�s peuvent critiquer, au m�me titre, les principes des uns et les revendications des autres, non dans un rapport de subordination, mais � �galit� de statut politique [12] ; non pas en tant que personnes, mais en tant que forces intellectuelles, en tant que syst�mes d'entendement. Produite par l'opinion publique, la � presse libre �, produit aussi cette opinion publique ; elle seule peut transformer un int�r�t particulier en int�r�t g�n�ral, elle seule peut changer l'�tat d'indigence de la Moselle en objet d'attention et de sym�pathie g�n�rales de la patrie, elle seule peut d�j� adoucir l'indigence en tai�sant partager � tous ce sentiment.

Par rapport � la situation du peuple, la presse se comporte comme intel�ligence, mais tout autant comme c�ur ; par cons�quent, son langage n'est pas seulement le langage �clair� du jugement qui reste au-dessus des cir�constances, il est aussi le langage passionn� de ces circonstances elles- m�mes, langage qui ne peut ni ne doit �tre exig� pour les rapports officiels. Enfin, la presse libre porte avec son propre visage, un visage qui n'est pas retouch� par les interm�diaires bureaucratiques, l'indigence populaire aux marches du tr�ne, vers un pouvoir face auquel s'�vanouit toute diff�rence entre administration et administr�s et devant lequel, d�sormais, il n'y a plus que des citoyens �galement proches et �galement �loign�s.

D�s lors, si l'�tat d'indigence particulier de la Moselle avait rendu indis�pensable la presse libre, si elle �tait ici un besoin v�h�ment parce que r�el, il semble qu'il n'�tait pas n�cessaire d'entraver la presse par des mesures exceptionnelles pour susciter ce besoin ; mais qu'il aurait plut�t fallu une libert� de presse exceptionnelle pour satisfaire le besoin existant.

Ad. 2. � En tout cas, la presse qui informe sur les affaires moseflanes ne constitue qu'une partie de la presse politique en Prusse. Il sera utile, afin d'�valuer sa situation ant�rieure � l'Ordre de Cabinet si souvent cit�, de jeter un regard rapide sur la situation de toute la presse prussienne avant 1841. A titre d'exemple nous donnons la parole � quelqu'un dont la loyaut� est au-dessus de tout soup�on.

[R�sum�]

Celui � qui Marx donne la parole par la suite, c'est David Hansemann, un des repr�sentants les plus connus du lib�ralisme rh�nan, de tendance conservatrice et, ce que Marx ne pouvait pas pr�voir, qui devint avec Camphausen, autre Rh�nan de m�me tendance, chef du gouvernement prussien apr�s la r�volution de 1848. Marx cite un passage du livre de Hansemann qui a fait conna�tre celui-ci � un public plus large. Il utilise la deuxi�me �dition de 1834. Hansemann y constate que la censure ne permet pas un d�bat approfondi des questions politiques et m�me �cono�miques dans les quotidiens en Prusse. Car un tel d�bat ne n�cessite pas seulement d'opposer arguments et contre-arguments, mais de faire conna�tre les rapports existant entre questions politiques et �cono�miques et la politique int�rieure et ext�rieure � ce que la censure juste�ment ne permet pas.

Ensuite, Marx rappelle � ses lecteurs, par de longues citations d'articles de loi, que le deuxi�me article des deux d�crets de l'Etat prussien sur la censure, celui de 1788 et celui de 1819, et plus encore l'instruction de d�cembre 1841, mettent en valeur qu'il n'a jamais �t� dans l'intention de la censure d'exercer une contrainte injustifi�e sur les �crivains effectuant une recherche s�rieuse de la v�rit�. En tenant compte de toutes ces d�clarations officielles :

(fin du r�sum�)

La raison pour laquelle la censure aurait pos� des entraves � la presse, �tant donn� le voeu des autorit�s de voir les conditions mosellanes discut�es aussi franchement et publiquement que possible, para�t se transformer en la question plus g�n�rale selon laquelle, � son propre aveu, il fallait encore en 1841 lib�rer la presse � de restrictions illicites �, c'est pourquoi, en 1841, il fallait rappeler l'article 2 de l'�dicte de 1819 ; et tout cela en d�pit de � l'intention de ia loi �, de � l'intention du gouvernement � et enfin de �l'inten�tion de sa Majest� �. On devrait se demander, en particulier par rapport � la r�gion mosellane, non pas quelles ont �t� les entraves sp�cifiques auxquelles la presse s'est heurt�e, mais plut�t se demander quels ont �t� les privil�ges sp�cifiques qui ont exceptionnellement favoris� la presse afin de transformer cette discussion partielle des situations int�rieures en une discussion aussi franche et publique que possible.

Sur le contenu interne et le caract�re de la litt�rature politique et de la presse quotidienne ant�rieur � l'Ordre de Cabinet en question, les termes de l'instruction de censure suivants apportent un maximum d'�claircisse�ments :

� Gr�ce � ces moyens, nous sommes en droit d'esp�rer que la litt�rature politique, comme la presse quotidienne prendront plus nettement conscience de leur mission, qu'elles adopteront un ton plus digne et qu'elles refuseront, � l�avenir, de sp�culer sur la curiosit� de leurs lecteurs en reprenant des informations insignifiantes, extraites d'autres journaux, etc. On peut en attendre l'�veil d'une participation plus large aux int�r�ts patriotiques et le redressement du sentiment national. �

De l� semble ressortir que si aucune mesure particuli�re n'a entrav� un examen franc et public de l'�tat de la Moselle, c'est que l��tat g�n�ral de la presse prussienne �tait en lui-m�me un obstacle insurmontable � cette franchise et � cette publicit�. Si nous r�sumons les extraits de l'instruction de censure cit�e ci-dessus, elle stipule : la censure �tait avant tout un r�flexe de crainte et une barri�re ext�rieure � une presse libre ; en m�me temps, l'auto�censure [13] de la presse allait de pair avec cette censure ; cette presse avait abandonn� le courage et m�me l'aspiration � s'�lever au-dessus de l'horizon de l'actualit� ; enfin, le peuple lui-m�me ne prenait plus part aux int�r�ts patriotiques et avait perdu le sentiment national, donc les �l�ments qui sont non seulement les forces cr�atrices d'une presse franche et publique, mais encore les conditions qui, seules, permettent le fonctionnement d'une telle presse et sa reconnaissance populaire ; reconnaissance qui cr�e un environ�nement � la presse et sans lequel elle d�p�rit in�luctablement.

Si, par cons�quent, les mesures des autorit�s peuvent cr�er une situation o� la presse n�est pas libre, il est, par contre, hors du pouvoir des autorit�s, vu la non-libert� de la presse en g�n�ral, d'assurer une discussion aussi franche et publique que possible des questions sp�cifiques ; car m�me les propos francs concernant des sujets isol�s qui remplissent, par exemple, les colonnes de la presse ne sont pas en mesure de susciter un d�bat g�n�ral et donc d'obtenir une publicit� v�ritable.

Ajoutons, ce que Hansemann remarque � juste titre que, peut-�tre, il n'existe aucune question d��conomie politique qui ne soul�ve le probl�me de la politique int�rieure et ext�rieure. La possibilit� d'une discussion franche et publique de la situation mosellane pr�sume donc la possibilit� d'une discussion franche et publique de toute la � politique int�rieure et ext�rieure �. Une administration sp�cifique a si peu le pouvoir d'offrir cette possibilit� que seule la volont� imm�diate et ferme du roi en personne pouvait, dans ce cas, intervenir de fa�on d�cisive et efficace.

Si la discussion publique n'�tait pas franche, la discussion franche n'�tait pas publique. Elle se cantonnait � d'obscurs journaux locaux dont la port�e ne d�passait �videmment pas l'horizon de leur diffusion et, vu ce qui a �t� dit plus haut, ne pouvait pas le d�passer.

[R�sum�]

Afin de donner au lecteur une id�e de ces discussions locales qui n�ont jamais connu d'�cho au-del� des horizons communaux, Marx cite quelques passages du Bernskast/er gemeinn�tziges Wochenblatt des ann�es 1835, 1836,1837. Les divers faits et chiffres publi�s par l'hebdo�madaire de Bernkastel (domicile du correspondant Peter Coblenz) com�prennent des donn�es de vente aux ench�res auxquelles de nombreux vignerons ont �t� soumis par la contrainte des huissiers. Ces chiffres prouvent � l'abondance que les vignerons n'ont obtenu que des prix d�risoires, soit au-dessous des frais de production, soit sous forme d'�change non mon�taire[14].

(fin du r�sum�)

On ne trouvait donc ici que le simple r�cit de faits qui, parfois accompagn� d'un court �pilogue �l�giaque, pouvaient �mouvoir par leur simplicit� non maquill�e, mais qui pouvaient difficilement prendre le caract�re d'une dis�cussion franche et publique de la situation mosellane.

Dans le cas o� un individu, ou m�me une large partie de la population sont touch�s par un malheur spectaculaire et �pouvantable dont personne ne parle et que personne ne consid�re comme un �v�nement m�morable et notable, ils doivent en conclure, ou bien que les autres ne peuvent pas parler, ou bien qu'ils ne le veulent pas parce qu'ils consid�rent que l'importance de l'affaire est illusoire. Que son malheur soit reconnu, qu'on lui apporte une assistance intellectuelle repr�sentent un besoin, m�me pour le vigneron le plus inculte, quitte � ce qu'il en tire la seule conclusion que l� o� tous pensent, beaucoup parlent, et que bient�t quelques-uns agiront aussi. M�me si une discussion franche et ouverte de la situation mosellane avait �t� vraiment permise, elle n'avait pas eu lieu, et il est clair que le peuple croit seulement au r�el, non � une presse franche dont l'existence est possible, mais � celle dont l'existence est r�elle. Avant la publication de l'Ordre de Cabinet royal, le Mosellan avait d�j�, � vrai dire, ressenti son indigence. Sans doute aussi, avait-il entendu qu'on en doutait, sans percevoir, ou que ce soit une presse publique et franche. Apr�s la publication de cet Ordre de Cabinet, il voyait surgir en quelque sorte cette presse du n�ant. Il en tire la conclusion que, seul, l'Ordre de Cabinet royal a d�clench� cette agitation de la presse � laquelle, pour les raisons introduites pr�c�demment, le Mosellan a pris une part prioritaire impos�e par l'urgence d'un besoin r�el ; cette conclusion semble ainsi avoir �t� tr�s populaire. Enfin, il appara�t qu'au-del� de sa popularit�, un examen critique de cette opinion aboutirait au m�me r�sultat. � Sa Majest� le Roi a daign� d�sapprouver express�ment toute contrainte injuste impos�e � l'activit� litt�raire et, reconnaissant la valeur et le besoin d'une opinion publique franche et convenable, etc. � : ces termes qui intro�duisent l'instruction de censure du 24 d�cembre 1841 assurent � la presse une reconnaissance royale particuli�re, par cons�quent une valeur d'Etat. Le fait qu'un seul mot du Roi puisse avoir un effet si important et qu'il soit accueilli par le Mosellan comme un mot de force magique et une panac�e contre tous ses maux, semble pouvoir t�moigner de la v�ritable loyaut� des Mosellans envers leur Roi et de leur gratitude non pas mesur�e, mais d�bordante.

Rheinische Zeitung, n� 20,
20 janvier 1843.

Ad. 3. � Nous avons cherch� � montrer que le besoin d'une presse libre d�coulait n�cessairement de la sp�cificit� des conditions mosellanes. Nous avons de plus montr� comment l'expression de ce besoin aurait �t� emp�ch�e avant la publication de l'Ordre de Cabinet de Sa Majest�, non pas par des obstacles particuliers � la presse, mais par le seul �tat g�n�ral de la presse quotidienne prussienne. Finalement, nous montrerons que des circonstances r�ellement particuli�res se sont oppos�es avec virulence � une discussion franche et publique des conditions mosellanes. Ici aussi, il nous faut tout d'abord mettre l'accent sur l'id�e conductrice de notre expos� et reconna�tre le pouvoir des rapports g�n�raux dans la volont� des personnalit�s agissantes. Dans les circonstances particuli�res qui ont emp�ch� une discussion franche et publique de la situation mosellane, nous ne devons voir rien d�autre que l'incarnation r�elle et la manifestation �vidente des rapports g�n�raux d�ve�lopp�s ci-dessus : c'est-�-dire de la position particuli�re de l''administration � l'�gard de la Moselle, de l'�tat g�n�ral de la presse quotidienne et de l'opi�nion publique, enfin de l'esprit politique dominant et de son syst�me. Si ces rapports, comme cela appara�t, �taient les forces g�n�rales imperceptibles et contraignantes de cette �poque-l�, il est � peine utile de pr�ciser que ces rapports devaient aussi fonctionner en tant que forces, aboutir dans les faits et se manifester en actes isol�s, arbitraires en apparence. Quiconque abandonne ce point de vue objectif s'embarrasse unilat�ralement d'amers senti�ments � l'�gard de personnalit�s qui incarnent face � lui la duret� des rapports de l'�poque.

Parmi les obstacles sp�cifiques � la presse, on doit compter non seulement quelques difficult�s li�es � ta censure, mais tout autant toutes les circons�tances sp�cifiques qui ont rendu la censure superf�tatoire puisqu'elles ne laissaient s'introduire aucun motif de censure, m�me pas sous forme de tentative. L� o� la censure s'engage avec la presse dans des conflits manifestes, permanents et durs, on peut en conclure, de fa�on quasi certaine, que la presse a gagn� en vivacit�, en temp�rament et en assurance, car seule une action perceptible produit une r�action perceptible. Par contre, l� o� la censure est absente parce que la presse est absente, bien que l'existence d'une presse libre, donc susceptible d'�tre censur�e, y soit n�cessaire, c'est dans les circonstances qui ont rebut� toute pens�e, m�me dans ses formes les plus modestes, qu'il faut rechercher la pr�censure.

Notre but ne peut �tre de donner un expos� complet de ces circonstances sp�cifiques, pas m�me un expos� approximatif ; cela reviendrait � vouloir retracer l'histoire contemporaine, depuis 1830, en ce qui concerne la r�gion de la Moselle. Nous pensons avoir rempli notre devoir en prouvant que toutes les formes d'expression franche et publique � orale, �crite, imprim�e, autant celle qui n'est pas encore censur�e que l'imprim�e qui l'est d�j� � se heurtent � des obstacles sp�cifiques.

L'humeur maussade et le d�couragement qui brisent de toute fa�on, dans une population indigente, cette force morale qui appartient � la discussion publique et franche se trouvaient notamment aliment�s par les condamna�tions judiciaires ; celles qu'entra�nent infailliblement les d�nonciations diverses � pour outrage � un fonctionnaire en service ou � l'endroit de sa fonction �.

[R�sum�]

De nombreux vignerons de la Moselle, �crit Marx, se souviennent encore aujourd'hui d'un tel �v�nement (il s'agit d'un �v�nement qui avait eu lieu en 1835). Un citoyen de Bernskastel, bien connu et jouissant d'une grande estime dans la commune, avait, le lendemain de l'anniver�saire du roi, fait savoir � la bonne du sous-pr�fet local qu'il avait, la veille, rencontr� celui-ci un peu ivre. Il fut d�nonc� et aussit�t poursuivi en justice pour diffamation par le tribunal correctionnel de Tr�ves ; mais il fut, cela va de soi, acquitt�. De cette histoire dont les documents lui ont �t� fournis par Peter Coblenz, Marx tire l'argument suivant :

(fin du r�sum�)

Nous avons choisi cet exemple parce qu'une r�flexion simple en d�coule n�cessairement. Les sous-pr�fets sont les censeurs respectifs de leur arron�dissement. Et l'administration sous-pr�fectorale, incluant les sph�res admi�nistratives qui lui sont subordonn�es, est l'objet privil�gi�, parce que le plus proche, de la presse locale. Etant donn� qu'il est d�j� difficile de juger pro domo, des �v�nements comme celui mentionn� ci-dessus, t�moignant d�une conception extr�mement irritable de l'intangibilit� de la position officielle, font de la pure existence de la censure sous-pr�fectorale une raison suffisante pour la non-�xistence d'une presse locale franche.

Nous voyons que le discours oral, franc et modeste ouvre le chemin du tribunal correctionnel. La forme �crite de la parole libre, la p�tition, bien qu'encore �loign�e de la publicit� de la presse, conna�t le m�me sort. L�, c'est l'intangibilit� de la position officielle, ici, c�est l'intangibilit� des lois en vigueur qui s'opposent au langage franc.

Un � Ordre de Cabinet � du 3 juillet 1836 fait savoir entre autres choses que le roi envoie son fils dans la Province rh�nane afin de prendre connaissance de sa situation. Encourag�s par cet Ordre, quelques propri�taires de terre du d�partement de Tr�ves saisirent l'occasion et demand�rent � leur � d�put� � la Di�te rh�nane � de soumettre une p�tition au prince h�ritier. Ils lui signi�fi�rent leurs plaintes. Le d�put�, afin d'augmenter le poids de cette p�tition gr�ce � un nombre sup�rieur de p�titionnaires, envoya un �missaire dans la contr�e et fit signer la p�tition par 160 paysans. Il s'agissait du texte suivant :

[R�sum�]

La p�tition porte sur les cinq points suivants : 1� les imp�ts excessifs sous tous les aspects, �tant donn� les faibles ventes de b�tail et de vin ; 2� l'importante augmentation des fonctionnaires d'Etat, civils et militaires ; si autrefois 27 fonctionnaires, dont les frais s'�levaient � 29.000 thalers, suffisaient pour g�rer l'administration, il en fallait, � pr�sent, 63, dont la charge totale s'�levait � 105.000 thalers ; 3� � la demande que les fonction�naires communaux soient �lus, comme cela a �t� le cas autrefois ; 4� que les bureaux douaniers ne restent pas ferm�s pendant de longues heures de la journ�e ; 5� qu'il soit de nouveau permis aux propri�taires d'utiliser, comme la loi de 1828 le pr�voit, leurs champs jusqu'au bord des chemins publics.

(fin du r�sum�)

Cette p�tition que le d�put� voulait remettre au prince h�ritier fut re�ue avec la promesse formelle de la remettre � Sa Majest� royale. Elle n'obtint jamais de r�ponse mais, bien s�r, le d�put� fut poursuivi en justice en tant qu�instigateur d'une p�tition prof�rant un � reproche irr�v�rencieux � l'�gard des lois �. Suite � cette plainte, le d�put� fut condamn� � Tr�ves � une peine d'emprisonnement de six mois et aux d�pens, mais cette peine fut modifi�e ensuite par la cour d'appel. Elle ne le condamna qu'aux d�pens estimant que le comportement de l'incrimin� n'avait pas �t� totalement d�nu� de l�g�ret� et qu'il avait donn� ainsi mati�re � ce proc�s. Par contre, le contenu de la p�tition m�me ne fut nullement d�clar� condamnable [15].

Bien que cette p�tition prit dans toute la contr�e l'importance d'un �v�ne�ment majeur en raison d'une part du but du voyage du prince h�ritier, et d'autre part par la position de d�put� de l'incrimin�, et provoqua, � un degr� �lev�, l'attention du public, on se doit de constater que les cons�quences de cette p�tition n'entra�n�rent pas, � proprement parler, de discussion publique et franche de la situation mosellane ni n'exauc�rent les v�ux des autorit�s � ce sujet.

Venons-en maintenant aux obstacles auxquels se heurte, en v�rit�, la presse, aux refus de la censure qui, selon nos indications pr�c�dentes, devaient se limiter � de rares cas, l'amorce d'une discussion censurable de la situation mosellane ayant �t� rare.

La censure sous-pr�fectorale refusa le droit d'imprimer un proc�s-verbal �manant d'un Conseil d'�chevins qui comportait tout de m�me, parmi quelques propos baroques, des propos francs. Les d�lib�rations eurent lieu au sein du Conseil d'�chevins, mais ce fut le maire qui r�digea le proc�s-verbal. Il commen�ait ainsi : � Messieurs ! La r�gion qui s'�tend sur les rives de la Moselle entre Tr�ves et Coblence, entre i'Eifel et le Hundsr�cken, est mat�riellement tr�s pauvre parce que la viticulture constitue sa seule ressource et que les accords commerciaux avec l'Allemagne lui ont donn� le coup de gr�ce ; le pays en question est aussi pauvre intellectuellement, etc. �

De la m�me mani�re, un autre fait peut prouver que, finalement, toute discussion publique et franche ayant d�pass� tous les obstacles mentionn�s, et publi�e exceptionnellement dans les colonnes d'un journal, est trait�e comme une exception et bient�t interdite. Il y a plusieurs ann�es, � Bonn, M. Kaufmann, professeur de � Kameralwissenschaften �, publia, dans la Rhein-und Moselzeitung, un article � Sur la mis�re des vignerons mosellans �. Cet article, apr�s avoir circul� durant trois mois dans diff�rentes revues, fut interdit par le gouvernement royal ; et cette interdiction se poursuit encore aujourd'hui [16].

Je crois, � pr�sent, avoir suffisamment r�pondu � la question du rapport de la r�gion mosellane � l'Ordre de Cabinet du 10 d�cembre, � l'instruction de censure du 24 d�cembre qui en d�coule et � l'exercice de la presse devenu plus libre depuis. Il me reste � justifier mon affirmation : � L'�tat de d�solation d�sesp�r�e des vignerons a longtemps �t� mis en doute par les autorit�s sup�rieures et leur cri de d�tresse tenu pour des vocif�rations insolentes. � On pourra d�composer cette phrase qui a �t� mise en question en deux parties : � L'�tat de d�solation des vignerons a longtemps �t� mis en doute par les autorit�s sup�rieures � et � Leur cri de d�tresse tenu pour des vocif�rations insolentes �.

La premi�re phrase, je crois, ne n�cessite plus de preuves. La seconde, � Leur cri de d�tresse fut tenu pour des vocif�rations insolentes �, ne peut pas trouver directement son interpr�tation dans la premi�re, comme le fait Monsieur le pr�sident de la Province : � Leur cri de d�tresse fut tenu par les autorit�s sup�rieures pour des vocif�rations insolentes. � Toutefois, cette interpolation peut �tre consid�r�e comme valable dans la mesure o� l'on attribue la m�me signification � � autorit�s sup�rieures � et � autorit�s administratives �.

Les informations apport�es jusqu'ici �tablissent que l'on peut parler d'un � cri de d�tresse � des vignerons, non pas au sens figur�, mais au sens propre. On a, d'une part, reproch� � ce � cri de d�tresse � son manque de bien-fond�, et l'on a consid�r� la description de la d�tresse comme une exag�ration tapageuse injustement motiv�e par l'�go�sme, on a, d'autre part, per�u la plainte et la pri�re de cette mis�re comme un � reproche insolent et irr�v�rencieux � � l'�gard des lois ; ces pr�misses ont �t� d�montr�es par un rapport gouverne�mental et une proc�dure criminelle. On ne peut pas dire que l'affirmation � selon laquelle Ton identifie comme � vocif�rations � et m�me comme � vocif�rations insolentes � le cri amplifi� de mauvais motifs exag�rant et m�connaissant l'�tat des choses et incluant un � reproche irr�v�rencieux � � l'�gard des lois � n'a pas �t� recherch�e trop loin ou par des moyens d�loyaux. Une cons�quence logique semble en d�couler en toute �vidence : les deux termes peuvent �tre intervertis.


A propos de l'interruption de la � Justification du + + correspondant de la Moselle �

Explication de la r�daction de la Rheinische Zeitung

Trier'sche Zeitung, n� 55,
25 f�vrier 1843.

La r�daction sous-sign�e se trouve habilit�e par une requ�te du Trier'sche Zeitung � d�clarer que la suite de la publication de la correspondance de la Moselle se heurte � des obstacles qui ne sont imputables ni au correspondant ni � la r�daction.

La r�daction de la � Rheinische Zeitung �


De la Moselle, janvier 1843

C) Gangr�nes de la Moselle [17]

D'abord, nous commencerons par relater des faits survenus dans le d�partement de Tr�ves sous les pr�sidences successives de von Schaper, von Bodelschwingh et von Ladenberg. Ces faits sont non seulement int�ressants parce qu'ils caract�risent la gestion financi�re de la commune, mais encore par ce qu'ils r�v�lent de la position que le gouvernement estima devoir prendre envers ses subordonn�s fonctionnaires et envers les administr�s.

Factum primum : Le sous-pr�fet de Tr�ves fut en premi�re instance condamn� � six mois d'emprisonnement il y a environ dix ans, � la suite des accusations port�es contre lui : � d'avoir incit� ses subordonn�s � des actions ill�gales, nuisibles au patrimoine de la commune, mais favorables � ses int�r�ts priv�s, et enfin d'avoir foment� un v�ritable complot visant � destituer les fonctionnaires r�calcitrants �. Il fut cependant acquitt� par la cour d'appel, l'inculpation �tant consid�r�e comme prescrite.

Le sous-pr�fet dut cette heureuse tournure des �v�nements au fait qu'une enqu�te administrative avait retard� la proc�dure criminelle de plu�sieurs ann�es. Il lui fut m�me communiqu� par le gouvernement r�gional un rescrit du minist�re royal de l'Int�rieur et de la Police qui, sur requ�te admi�nistrative et sur la base d'un rapport juridique d'une Haute Cour royale, relatif � l'enqu�te en cours le concernant, consid�rait celle-ci comme non fond�e et illicite. Le gouvernement r�gional avait ajout� la remarque suivante : � Nous sommes profond�ment persuad�s qu'il vous tiendra � c�ur d�sormais de remplir les devoirs de votre charge avec toute la conscience, la vigilance et le z�le possible, � la satisfaction et approbation de vos sup�rieurs hi�rarchiques, et de vous montrer, � tout point de vue, digne de la confiance qu'ils vous ont toujours t�moign�e. � Enfin, j'ajouterai que cette confiance sembla des plus justifi�es puisque le sous-pr�fet fut d�cor� quelque temps apr�s.

Factum secundum : L'huissier, M..., condamn� plus tard � six ans de travaux forc�s, acheta, il y a environ neuf ans, plusieurs titres de cr�ance aux d�pens du vigneron Herres de Leiwen, tomb� � la merci d'un usurier juif. Ses affaires empirant, le vigneron ne put s'acquitter de ses dettes et ses biens furent mis � l'encan par huissier. Peu de temps avant le jour des ench�res, Herres sollicita du gouvernement r�gional l'autorisation d'emprunter sur hypoth�que, � la maison des pauvres du lieu, les 1.000 thalers de la mise � prix publi�e dans le journal. Plusieurs personnes s'int�ressaient au sort du malheureux vigneron, le gouvernement demanda imm�diatement un pr�avis� l'administration qui fut confi� au tr�sorier et inspecteur E... D'o� il ressortit que la requ�te [de Herres] fut refus�e et ce, te jour de l'adjudication. A peine E... avait-il rendu son pr�avis qu'il s'asseyait dans sa voiture pour aller � Schweich sur les lieux des ench�res. Une fois arriv�, il pr�tendit �tre acqu�reur au nom de la famille Herres, de telle sorte que personne n'osa surench�rir et que tout le domaine lui fut adjug� au prix de la mise initiale, soit le tiers de la valeur r�elle. Le jour suivant, le vigneron Herres se rendit chez E... pour parler de ses affaires et pour le remercier des services rendus. Quel ne fut pas son �tonnement lorsque celui-ci l��conduisit froidement en lui disant avoir agi � son profit et n'�tre pas dispos� � y renoncer. Lorsque le vigneron porta plainte, il n'obtint du gouvernement qu'un rappel � l'ordre.

Factum tertium : En l'ann�e 1832, lorsque le chol�ra mena�a notre r�gion, la commune de Weisskirchen acquit, sur ordre des �chevins, un terrain de 40 thalers, propre � servir de cimeti�re aux victimes. L'acte de vente stipulait que le terrain devait �tre restitu� � son pr�c�dent propri�taire si l'acquisition faite par prudence s'av�rait inutile, c'est-�-dire si l'�pid�mie n'�clatait pas.

Plus tard, toute crainte du chol�ra oubli�e, les �chevins d�cid�rent que le vieux cimeti�re trop exigu devait �tre d�plac� dans les abords du presbyt�re avoisinant la nouvelle �glise alors en construction. Le vieux cimeti�re �tait situ� autour de l'ancienne �glise qui fut d�molie apr�s construction de la nouvelle, ce qui rendit celui-ci sensiblement plus grand que le nouveau ; ainsi la n�cessit� d'un autre cimeti�re ne se fit plus sentir et la question fut ajourn�e. Le cur� voulait bien, d'ailleurs, du vieux cimeti�re en guise de d�dommagement puisque le droit d'user � son gr� des abords du presbyt�re lui �tait retir� : Quoi qu'il en f�t, le bourgmestre, sans autorisation aucune de l'�chevinage, fit �difier un mur autour du terrain de 40 thalers (ant�rieurement) destin� aux victimes du chol�ra. Les frais en furent inscrits au budget et pay�s par la caisse communale ce qui suscita un toll� et une vague de protes�tations, vaines d'ailleurs, car, finalement, les �chevins de tous les villages de la paroisse se rendirent in corpore � Tr�ves pour porter plainte aupr�s du pr�fet.

Le pr�fet von Bodelschwingh, en ne fondant son arbitrage que sur le rapport du sous-pr�fet de Merzig, qui, pour sa part, ne s'�tait inform� qu'aupr�s du bourgmestre, consid�rait les �chevins comme d'�ternels m�contents et il r�cusa leur plainte comme mensong�re. Sans se laisser abattre, les �chevins, quelque temps plus tard, s'efforc�rent de faire une commission charg�e d'enqu�ter sur place aux frais de la partie perdante ; mais, l� encore, ils furent d�bout�s. Or, il advint qu'un enfant du vendeur du terrain litigieux r�clama � son p�re sa part d'h�ritage. Entrait dans le partage, l'arpent et demi de terrain, vendu 40 thalers, mais dont la vente �tait annul�e pour les raisons susdites. Trois experts nomm�s par le tribunal le d�clar�rent indivisible, si bien qu'il fut mis � l'encan.

Aux ench�res, seuls le propri�taire et le bourgmestre se port�rent acqu�reurs. Le propri�taire, croyant que le bourgmestre �tait charg� par le sous-pr�fet d'acheter le terrain � n'importe quel prix, poussa les ench�res jusqu'� 1.700 thalers, et il fut couvert par le maire qui ench�rissait en fait au nom de la commune. Ainsi, le nouveau cimeti�re et son mur d'enceinte co�t�rent 2.400 thalers � la communaut�. Ne sont pas compris, les frais du proc�s encore pendant entre la commune et le propri�taire, qui, si la commune venait � perdre, s'ajouteraient � ce prix d�j� consid�rable. Il n'en aurait co�t� que 200 thalers � la commune de d�placer (par ses propres moyens) son cimeti�re pr�s de la nouvelle �glise et de le cl�turer.

L'affaire en �tait l�, en 1841, quand le bourgmestre donna l'ordre de fermer l'ancien cimeti�re et d'ouvrir le nouveau. Au premier enterrement, pas un seul paroissien ne manquait ; malgr� les menaces du maire et la pr�sence des gendarmes, ils ensevelirent le mort dans le vieux cimeti�re, pr�textant qu'ils s'en �taient ouverts au roi et qu'ils ne se serviraient pas du nouveau cimeti�re avant de conna�tre la r�ponse. Le bourgmestre dressa proc�s- verbal contre l'insoumission et, apr�s enqu�te judiciaire, neuf citoyens, dont un �chevin, furent arr�t�s. Trois jours plus tard, ils furent cependant rel�ch�s sous caution et condamn�s plus tard � de l�g�res amendes.

Le pr�fet de l'�poque, von Schaper, consid�rant l'affaire comme suffi�samment s�rieuse, se rendit sur les lieux, o� il put se convaincre que le vieux cimeti�re r�pondait mieux que le nouveau aux besoins locaux. Malheureuse�ment, il �tait trop tard pour changer le cours des �v�nements.

La commune r�clamait instamment la r�vocation du maire et la d�signa�tion d'un homme jouissant de la confiance g�n�rale ; le gouvernement r�gional r�pliqua que le bourgmestre ne serait mut� que dans un poste au traitement �quivalent ; que cette mutation ne devait pas �tre prise pour une sanction, mais qu'elle sanctionnait simplement le fait que le maire n'�tait plus en �tat de remplir les devoirs de sa charge sans la confiance de ses citoyens.

Au lieu de nommer un homme au-dessus de tout soup�on, selon les v�ux de la commune, le gouvernement r�gional y envoya un maire accus� des m�mes m�faits par ses administr�s ant�rieurs, suspendu depuis deux ans et acquitt� ab instantia.


Notes

[1] Le � + + correspondant de la Moselle � fut Peter Coblenz. Originaire de Bernkastel, il �tudia la jurisprudence et fut employ� aupr�s du parquet de Tr�ves. Relev� de ses fonctions vers la fin 1841 par des mesures disci�plinaires, il s�installa � Bernkastel d�o� il envoya r�guli�rement des articles � la Trier'sche et � la Rheinische Zeitung. Dans sa lettre au ministre de l�Int�rieur, dat�e du 2 janvier 1843, le pr�fet de Tr�ves ne laissa gu�re de doute sur l�identit� de l�auteur des deux articles incri�min�s. Peter Coblenz n��tait pas un inconnu. D�une lettre qu�un membre du Conseil d�administration adressa � Marx le 21 d�cem�bre 1842, on a pu tirer la conclusion que Coblenz avait l�ch� la r�dac�tion. Il n�en �tait rien. Si Coblenz ne semblait pas en mesure de r�diger la � Justification � de ses pr�c�dents �crits vis-�-vis du censeur, il n�en fut pas moins actif et pr�para les documents utilis�s par Marx. C�est ce que signale la lettre du pr�fet mentionn�e ci-dessus.
Dans sa lettre � Ruge du 25 janvier 1843, Marx �voque l'interdiction de la Gazette rh�nane. Parmi les causes invoqu�es, il signale le fait qu�il a pris lui-m�me la d�fense du correspondant de la Moselle o� d��minents hommes d�Etat ont �t� fort malmen�s.
Pendant la r�volution de 1848/1849, Coblenz joua un r�le assez important dans sa r�gion. En automne 1848, il cr�a et dirigea le � Demokratischen Verein � de l�arrondissement de Bernkastel. Ces associations d�mocratiques furent cr��es pour d�fendre la r�volution de mars et poursuivaient, au niveau local, le but de rassembler et d�orga�niser les d�mocrates, en minorit� � l�Assembl�e nationale.
Quand, en novembre 1848, le minist�re d�Etat d�cr�ta l��tat de si�ge sans avoir pr�alablement demand� l�autorisation � l�Assembl�e natio�nale, des comit�s furent cr��s un peu partout en Rh�nanie, incitant la population � la gr�ve de l�imp�t. La Neue Rheinische Zeitung fut le porte-parole de ce mouvement.
A Bernkastel, Peter Coblenz n�organisa pas seulement la gr�ve locale mais appela la population aux armes afin de d�fendre la R�pu�blique � ce qui lui valut l�arrestation le 26 novembre. Il semble qu�il put s�enfuir. Lorsqu�en 1850 il se mit � la disposition de la justice, il subit une condamnation tr�s s�v�re. Condamn� par la cour d�assises de Tr�ves � six ans de r�clusion, il mourut, quatre ans plus tard, ali�n�, dans la prison de Werden.
(Bibliographie : H. Stein, Marx und der rheinische Pauperismus, p. 139 ; J. Hansen, op. cit., 6, p. 25, rba, I, 399-400; H. Schierbaum, Die politischen Wahlen in den Eifel- und Moselkreisen des Regierungsbezirks Trier 1849-1867, p. 24-34, D�sseldorf, 1960).

[2] Ohm : mesure de capacit�, en particulier du vin, d'environ 150 l.

[3] Fuder : mesure de capacit�, dans la r�gion mosellane, d'environ 1.000 l.

[4] La taxe fonci�re fut �tablie au d�but des ann�es vingt pendant les ann�es de riches r�coltes et de hauts prix du vin, sur la base d�extraits du cadastre qui d�termin�rent la taxe fonci�re. Une r�vision du cadastre fond�e sur la productivit� des terres cultivables n�eut pas lieu. Et ceci, bien que la taxe fonci�re f�t � la base de la classification de l�imp�t sur les personnes. Ces deux derniers servant de base � la fixation des droits communaux. Il en r�sultait qu�une fixation sur�valu�e de la taxe fonci�re entra�nait quasi automatiquement une charge excessive de l�imp�t classifi� et des droits communaux.

[5] L'imposition avait lieu avant la vente du vin ; imposable �tait le produit brut, et le fisc ne tenait pas compte de la vente ou de la m�vente du produit du vigneron.

[6] La r�forme communale fut une des revendications les plus importantes soutenues par les mouvements politiques du Vorm�rz en Rh�nanie. Les repr�sentants de l�opposition civile r�clamaient de l�Etat prussien l��galit� juridique et politique de la ville et de la campagne. Cette �galit� formait un des acquis les plus prestigieux de la R�volution fran�aise : la libre �lection des conseillers municipaux, l��lection du maire, la lib�ration de la tutelle gouvernementale et le droit � la publicit� des d�bats municipaux.
La Prusse n�avait connu qu'une lib�ration partielle, celle des villes, gr�ce aux r�formes de Stein en 1808, au sommet de la d�route militaire et politique de la Prusse f�odale. Or, une fois r�tabli l�ordre ancien, le gouvernement de Berlin proposa, certes, aux villes une r�forme communale afin de trouver un �quilibre juridico-politique � l�essor �conomique de celles-ci. Par contre, Berlin maintenait la campagne sous la dominance des structures semi-f�odales. Certains journaux rh�nans, en premier lieu la Rheinische, consid�rent, au d�but des ann�es quarante, que l��tat de l�administration communale est un des grands fl�aux de l��poque. Marx souleva cette question dans une s�rie d�articles qui parurent le 8 (n� 312), le 12 (n� 316) et le 13 (n� 317) novembre 1842 dans la Rheinische Zeitung.

[7] Tout en confirmant les informations ci-dessus, nous remarquons que les diverses lettres, qui s'�nterpr�tent r�ciproquement, ont rendu n�cessaire une compilation de notre c�t�. (La r�daction de la Rheinische Zeitung.)

[8] Ernst von Bodelschwingh

[9] Ernst von Bodelschwingh, pr�d�cesseur de Schaper comme pr�fet � Tr�ves, le pr�c�da �galement en tant que pr�sident de la Province.

[10] M. Kaufmann, cf. note [16] ci-dessous.

[11] En allemand : Staatb�rgerlich

[12] En allemand : In gleicher staatb�rgerlicher Geltung

[13] En allemand : Innere Beschr�nktheit. L�expression signifie � la fois � limites int�rieures � et � m�diocrit� int�rieure �. Ce jeu de mots permet � Marx d��viter le mot Selbstzensur (auto-censure) sans en perdre la signification.

[14] A titre d�exemple nous reproduisons ici un des cas que Marx avait trouv� dans l�ann�e 1835 du Bernkasteler gemeinn�tziges Wochenblatt. L�hebdomadaire parle d�une personne qui, � l�automne 1833, avait produit un foudre de vin au prix de 30 thalers. En y ajoutant les frais pour le tonneau, les imp�ts, les vendanges, le loyer, etc., le vin lui co�ta au total plus de 51 thalers. Le 10 mai 1835 le vin est vendu � 41 thalers. Et le journal ajouta : � Et il est � souligner que ce vin est bon et qu�il ne f�t pas vendu pour des raisons de n�cessit� et ne tomba pas dans les mains des usuriers � (MEGA (2), \j\, p. 316).

[15] Le d�put� fut Nikolaus Valdenaire, de Saarburg. En mars 1837, le pr�fet de Tr�ves et le pr�sident de la Province, von Bodelschwingh, ordonn�rent d�ouvrir une enqu�te judiciaire contre lui. Bodelschwingh avait envoy�, le 28 mars 1837, une lettre au pr�fet de Tr�ves dans laquelle il �crivit litt�ralement : � Etant donn� les opinions notoirement malveillantes de V. Valdenaire, il me plairait beaucoup, si celui-ci n�apparaissait pas � la Di�te o� il d�shonore le d�partement de Tr�ves..., qu�on ouvre une enqu�te judiciaire, autant qu�il est possible, qui ne soit pas close avant l�ouverture de la Di�te, pr�vue pour le 21 mai. � L�affaire fut d�licate et, afin d��viter toute � correspondance dangereuse entre le pr�fet et le procureur g�n�ral �, on monta un complot. Ainsi Valdenaire, dont la conviction d�mocratique et r�solument anti�prussienne �tait bien connue, fut emp�ch�, par la r�pression de l�appa�reil prussien, de remplir ses fonctions de d�put� � la Ve Di�te rh�nane (cf. Philipp Wey, Nikolaus Valdenaire (1772 bis 1849) und Viktor Valdenaire (1812 bis 1881), Zwei revolution�re Volksvertreter und Zeitgenossen von Karl Marx, in Heimatbucb des Kreises Saarburg, 1969, 13. Folge, 44-73).

[16] Kaufmann, en tant que directeur de l�Association agricole de la Basse-Rh�nanie, tint, lors de sa VIe Assembl�e g�n�rale, le 25 septembre 1836 � Bonn, une conf�rence sur la n�cessit� de faire face � l��tat d�urgence extraordinaire des vignerons rh�nans et sur les moyens de pr�venir leur ruine proche. Il souligna, entre autres causes, tout particuli�rement, les effets n�fastes de l�union douani�re et de l�imposition. Autant que la production industrielle rh�nane aurait tir� un grand b�n�fice deg contrats douaniers de 1834, autant la production agricole aurait connu les cons�quences les plus d�sastreuses. Le texte de la conf�rence parut dans la Zeitschrift fur den Niederrheinischen landwirtschaftlichen Verein, 4. Jg., Nro. 21 u. 22, 1. November 1836, 161-167. Plusieurs gazettes rh�nanes reproduisirent et comment�rent des extraits de cette conf�rence, de sorte que le gouvernement interdit la publication le 12 f�vrier 1837 (cf. Hans Stein, Marx und der rheinische Pauperismus, l.c., 137. Sur le personnage de Kaufmann et son r�le politique pendant le Vorm�rz, cf. Hans Pelger, l.c., 328-329. Kaufmann fut un de ceux qui favoris�rent la reconversion des vignerons appauvris � la s�riciculture, consid�r�e alors comme un moyen agricole et permettant aux vignerons d�avoir des recettes accessoires au moment de la crise de viticulture).

[17] Marx avait pr�vu de publier la "Justification" en cinq parties. Les parties C, D et E, r�prim�es par la censure, ne parurent jamais. Au cours de ses recherches sur Karl Heinzen, ancien ami de Marx et collaborateur de la Rheinische Zeitung, Hans Pelger, directeur des archives � Karl Marx � � Tr�ves, retrouva un fragment de la partie disparue. En effet, Heinzen avait int�gr� ce fragment dans son livre sur la bureaucratie prussienne, paru en 1845 � Darmstadt. Pelger publia ce fragment en 1973 comme appendice � son long article � Karl Marx und die preussische Weinkrise �. Malheureusement ce fragment de la partie � C �, dans la version qui nous a �t� conserv�e par Heinzen, ne contient que les documents choisis et group�s dont Marx se serait servis pour en faire son expos�.

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